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The killer inside me

Littérature noire

La société américaine passée à l'acide de Harry Crews dans Car

La société américaine passée à l'acide de Harry Crews dans Car

Dérangeant. Perturbant. Remarquable... et indescriptible. Car de Harry Crews est un roman à la frontière des genres. Pas un polar, non. Un livre sur la société américaine ? Certes. Un livre sur le désir aussi. Sur la schizophrénie. Mais aussi, comme dans La foire aux serpents, un livre sur le père, sur l'autorité paternelle. Car est un drôle de monument critique qui défonce autant les valeurs familiales américaines que les valeurs fondatrices des Etats-Unis, sa société de consommation, sa société du spectacle. Et puis, il s'agit là d'une belle anticipation sur ce qui deviendra la puante télé réalité. L'histoire ? A Jacksonville, Herman, fils introverti d'un propriétaire de casse auto, décide de manger une voiture ! Une Ford Maverick ! Tout ça, dans une mise en scène orchestrée par le patron de l'hôtel local.

Herman est soutenu par son frère, Mister, convaincu que c'est là, la chance attendue par la famille depuis des années pour, enfin, s'en sortir. La soeur, Junell, est simplement fière de son frère glouton, occupée qu'elle est à gérer sa sexualité d'urgence avec un flic local, des rapports qui se limitent à un tripotage poitrinaire sur les lieux d'accidents de la route ! Enfin, il y a le père, Easy Mack, furieux que son fils se donne ainsi en spectacle. Un " ringard "... ou presque ce vieux ronchon, puisqu'Harry Crews ne décide pas vraiment, ne tranche pas, faisant entièrement confiance à l'intelligence du lecteur. Encore une fois la figure du père (comme dans La Foire...) représente une permanence des choses, un univers plutôt crasse toujours. Et fragile. Une bulle dont un enfant veut se libérer. Ici, Herman.

Mais évidemment Car est une critique fine et sévère, de la société américaine : le culte de la voiture, la place envahissante de l'entertainment (on reste estomaqué par l'organisation télévisuelle, le merchandising autour de l'événement), la sexualité emprisonnée dans un carcan et le dieu dollar au-dessus de tout ça. C'est particulièrement visionnaire, offrant une image de ce monde, peu ragoûtante, où aucune institution ne semble pouvoir freiner cette chute de la civilisation. Car est court mais brillant et foisonnant de réflexions. On pense au Crash de Cronenberg, dans cette façon d'instrumentaliser l'automobile et le désir mais l'auteur géorgien va plus loin et on peut se demander comment un tel livre a pu être ressenti aux Etats-Unis. A lire aussi, la très belle critique du Vent Sombre, connaisseur de l'oeuvre de Crews, ici.

Car, édition Gallimard, 207 pages, 17 euros.
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