Fugitives d'Alice Munro : une grande plume féminine au service de la nouvelle mais...

Alice Munro a reçu son prix Nobel la semaine dernière. L'occasion, pour l'émission littéraire de RCFM, " Des livres et délires ", de se pencher sur un des recueils de son oeuvre... qu'aucun des cinq chroniqueurs, dont moi-même, n'avaient jusque là abordé, c'est dire l'ignorance ! Fugitives, publié en 2008, serait d'après les spécialistes un bon condensé de ce que la Canadienne écrit depuis plusieurs décennies : des nouvelles, avec des femmes comme personnages principales (mais pas comme héroïnes), dans une Nature extrêmement prégnante, des femmes donc, en butte, au moins légèrement, avec la société. Dans un style sans fioriture, parfois même assez sec.

La prose d'Alice Munro est évidemment de très haute volée et rarement un auteur a su s'immiscer avec tant de précision et d'humanité dans la tête d'une femme. Munro cisèle, dessine à la plume, la psychologie de ces jeunes ou moins jeunes soumises au tracas du coeur, souvent loin des grandes villes. Celle-ci a voulu réaliser son rêve de travailler dans un ranch avec son homme, celle-là se rend à l'opéra une fois par an avec tout un cérémonial de petites habitudes. Mais toutes sont dans cet entre-deux qui peut faire chavirer une vie, des moments clés de l'existence, toutes s'interrogent et prennent des décisions. Elles ne sont pas molestées, elles ne sont pas violentées, non. Fugitives n'est donc pas un manifeste féministe, c'est beaucoup plus fin que cela. Fugitives sculpte le portrait d'une certaine femme canadienne, une femme non aboutie mais pas rancunière pour autant, une femme décidée mais qui affronte aussi les éléments, une femme qui doute aussi. Alice Munro glisse avec une intelligence de tous les instants, de l'humour, du destin, quelques grains de sable pour dérouler ses histoires.

Mais attention :, même si ce sont des joyaux d'écriture, ces nouvelles s'adressent à un lecteur patient, compréhensif. Pas d'intrigue, pas d'action, le temps est très étiré et on ira même jusqu'à s'ennuyer dans certains passages insistants sur les beautés de la nature canadienne. On frôle le contemplatif parfois et les atermoiements de ces femmes, toujours très cultivées, hérissent un tantinet le poil... Bon sang ! Personne ne boit, personne ne se castagne dans ces contrées ?! Pardon, c'est peut-être un peu excessif mais ce monde-là, quand on touche à la fin du livre, paraît suranné, décalé. Mais c'est sans doute celui d'Alice Munro.

Fugitives, Alice Munro, édition Points, 384 pages, 8 euros.