Littérature noire
20 Mai 2016
Dans la série des grands flics de polar, il va sans doute falloir compter, désormais, avec Soneri, cousin transalpin du privé Jack Taylor, cher à Ken Bruen. Soneri aime le vin des cantines italiennes, les pâtes aux haricots, les tortelli au potiron, les morceaux de parmesan... et Angela, sa compagne avocate, amatrice de parties de jambes en l'air dans des lieux, disons, inédits ! Dans Le fleuve des brumes, première de ses aventures dans les toutes neuves et toutes belles éditions Agullo, Soneri se rend à l'hôpital de Parme où le vieux Decimo Tonna vient de percuter le sol après une chute de trois étages. Ce serait un suicide s'il n'y avait pas des traces de lutte plus haut... Au même moment le frère, Anteo décide descendre le Pô, avec sa péniche, en plein déluge et en pleine crue. Quatre ponts plus loin, la péniche s'échoue. Anteo n'est pas à bord. Soneri va retisser le fil d'une haine recuite, remontant à la Seconde Guerre Mondiale, quand les fascistes luttaient avec les communistes. Cette région italienne, riche en batailles mais aussi en massacre d'innocents, en vengeances n'a jamais semblé aussi peu paisible.
Car c'est là, la grande force de ce roman, avec des hommes d'apparence vieillie mais qui garde en eux des haines de jeunesse, de vraies blessures jamais cicatrisées, des hommes toujours agitées par leur passé. Devant le Pô, lui, s'écoule, sort de son lit, créé la panique, l'évacuation des habitants, sans bruit, sans cri. La puissance de cette Nature impose le respect aux hommes. De tous bords. Les scènes au cercle nautique, où les vieux marins (quelle galerie de personnages !) prennent les mesures de la montée des eaux, sont ainsi d'une rare sobriété, et d'une tension subtile. Le Pô et cette région sont les protagonistes de ce Fleuve des brumes, roman de l'opacité où Soneri a autant de mal à trouver sa route au volant de sa voiture qu'il en a comprendre les motivations des deux meurtres. Valerio Varesi fait sentir au lecteur l'épaisseur de ce froid d'automne, la pénétration de l'humidité, cet horizon bouché, ce ciel bas en permanence et ses quais du Pô, jamais allumé que par un petit fanal, un lointain réverbère. Et puis Varesi a un vrai amour pour les auberges italiennes, où un patron sourd fait entendre toute l'oeuvre de Verdi à ses clients, en servant de l'âne en daube et devant une étrange image de Christ. Loin des clichés, loin des mafias habituelles, Varesi nous offre une Italie de tous les jours, belle et tragique, une Italie dont on oublie trop souvent l'histoire tellement chaotique.
Le fleuve des brumes (trad, Sarah Amrani), ed. Agullo, 316 pages, 21, 50 euros.