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The killer inside me

Littérature noire

Bondrée : thriller délicat dans une langue d'une rare richesse

Le lac de Boundary Pond, en pleine nature, à la frontière du Canada et de l'Etat du Maine, est une sorte de havre de paix, fréquenté par des familles qui ont investi, là, dans des chalets de bois pour y passer leurs jours de congès. En 1967, lors de l'été de Lucy in the sky, Zaza Mulligan et Sissy Morgan sont deux adolescentes en pleine explosion d'hormones, deux amies inséparables, ravissantes jeunes filles, aux longues jambes, aux rires puissants, aux regards gorgés de vie. Elles font partie du décor comme le vieux Pat Tanguay, éternellement vissé à sa barque de pêche ou Andrée Duchamp, petite fille de 11 ans, aux genoux écorchées. A Bondrée (francisation québécoise de boundary), les vacances filent leur train. Jusqu'à la disparition de Zaza. Un matin, son absence résonne dans le coeur de son amie Sissy. Inquiète, elle frappe aux portes, quête un indice, une trace. On lui répond " that kind of girl.." Sous entendu, une fille légère qui est sans doute chez un copain. Sissy s'énerve, rameute les hommes de Bondrée. Et c'est le malheureux Gilles Ménard qui fera la découverte du corps de Zaza, exsangue après que sa jambe se soit prise dans un piège à loup, au coeur de la forêt... Stan Michaud, chef de la police, conclu à l'accident. Sauf que Sissy à son tour devient introuvable. Et connaît le même sort : tuée dans un piège. Mais cette fois, la tête quasiment rasée. Plus de doute, un prédateur est à l'oeuvre.

Dans ce Bondrée, Andrée A. Michaud n'a pas son pareil pour transformer un modeste cadre de vacances, avec lac reposant et forêt endormie, en véritable cauchemar d'angoisse. L'auteur québécoise maîtrise parfaitement cet environnement, d'ordinaire si calme, devenu un théâtre d'ombres, de craquements de branches et de fantômes. Dès l'instant de la disparition de Zaza, le lecteur se retrouve face à un mur d'incompréhension, une mort inexplicable, sans but. Et Andrée A. Michaud va mener ce lecteur par le bout du nez. D'abord à travers Stan Michaud, très beau flic hanté par le cauchemar d'un précédent meurtre non résolu. Stan Michaud, humain bouillonnant, empêtré dans cette enquête sans début ni fin, obligé d'utiliser les services d'un vacancier bilingue pour se faire comprendre des Canadiens francophones. L'autre point de vue de Bondrée, c'est celui d'Andrée, petite gamine partie à la recherche de Zaza en compagnie de Sissy justement. Aux premières loges, elle va voir, observer à sa hauteur d'enfant, la tragédie qui se noue. Sans en comprendre tous les ressorts mais en les refilant, au passage, au lecteur. C'est toute l'intelligence de ce roman de laisser perler quelques classiques fausses pistes mais aussi des issues, à travers Stan Michaud et Andrée Duchamp. Bondrée, c'est aussi la mise en pratique d'un élément de lieu précis, Boundary pound, dont on ne sort jamais et d'un élément temporel resserré, soit à peine quatre ou cinq jours, entre le meurtre de Zaza et la fin du roman.

Thriller sensible, teinté d'un délicat filtre de nostalgie, Bondrée plonge dans le tourment de parents, soit dévastés par la mort de leur enfant, soit terrorisé par ce qui pourrait arriver à leur progéniture. Cette profonde angoisse suinte à chaque page, tout comme l'hostilité de cette forêt toute proche. Pour un peu, on se croirait dans Twin Peaks. " C'est à Bondrée, à Bondrée seulement, que l'automne était précocement arrivé, drapé de ses airs de deuil et portant ses pièges recouverts de feuilles mortes ".

Et puis, Bondrée, c'est une langue magnifique. Un mélange de français québécois et de quelques expressions anglaises. Mais de ce côté-ci de l'Atlantique, on se régale surtout de ces mots, de ces tournures presque "exotiques", " le nez sur les pichous ", " un scalp, joualvert ! ", " il était allé s'asseoir dans le stationnement ", " on n'est pas des placoteuses", " comme quelqu'un qui remonte sa montre aux deux minutes "...Il y a une vraie richesse du vocabulaire, une attention toute particulière pour l'anglais de tous les jours et cela offre donc un parfum unique à ce livre. Sans nul doute, une des plus belles surprises de cette rentrée.

Bondrée, ed. Rivages, 363 pages, 18, 50 euros.
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