Littérature noire
6 Février 2017
La situation économique de la Calabre est catastrophique. Avec la chute du prix des oranges, à 6 centimes le kilo, c'est maintenant la main d'oeuvre africaine, essentiellement clandestine, qui manifeste son ras-le-bol de cet esclavagisme moderne. Dans la région de Gioia Tauro, à quelques kilomètres du détroit de Messine, ils sont plusieurs centaines de ces damnés de la Terre à manifester violemment. Une nuit, trois d'entre eux, caporaux au service des"blancs", sont violemment assassinés... Quelques mois plus tard, sur le port, une cargaison de 200 kilos de cocaïne est interceptée par la Justice. Le procureur demande au juge Alberto Lenzi d'établir une surveillance pour serrer les destinataires. Lorsque des membres de la 'ndrangheta viennent chercher le container, la police intervient mais la marchandise a déjà disparu ! Deux clans vont clairement se rejeter la faute. Lenzi passe pour une bille une fois de plus. Il se tourne vers Don Mico Rota, capo de 80 ans, craint dans toute la région, et pour lequel il a obtenu une détention à domicile. Les cartes de la pègre calabraise sont en train d'être redistribuées.
Après La revanche du petit juge, Le pacte poursuit cette série avec talent. Le lecteur retrouve la gouaille du sud de l'Italie, le style tellement imagé et franc de Mimmo Gangemi. La traduction n'est sans doute pas aisée mais Christophe Mileschi laisse, avec raison, quelques expressions propres au parler calabrais fleurir le roman. C'est l'un des premiers charmes des aventures de Mimmo Gangemi. Ensuite, il faut reconnaître que la plongée dans les méandres de la 'ndrangheta sont goûteux, car l'auteur ne fait pas dans la rédaction journalistique, il se laisse vraiment porter par son histoire, s'offre des digressions passionnantes. Comme ces scènes dans le cercle des aristocrates de Gioia Tauro, une parenthèse hors de la narration où une dizaine de notables disent du mal les uns des autres, commentant l'actualité meurtrière. Drôle et précieux. Et, toujours hors de l'enquête, il y a les péripéties amoureuses, quadragénaire divorcé, tombeur sexiste, que la compagne Mariana envoie bouler et qui se console dans les bras de Chiara. Les pages de Gangemi sur les femmes sont, elles aussi, délicieuses, brutes mais respectueuses, pétries de cette attraction machiste méditerranéenne. C'est suffisamment bien écrit pour ne pas tomber dans le cliché. Le pacte du petit juge est donc une réussite, s'efforçant de rester réaliste, d'offrir une vision romanesque mais pas tant que ça, de la main mise du Crime sur toute la région et au-delà. Car il y a quand même de vraies questions posées sur l'intelligence et le pouvoir de nuisance de la 'ndrangheta impitoyable et surpuissante, capable de faire taire les administrations, d'oppresser une population et de se sortir blanchie des poursuites de la Justice. Une série addictive.
Le pacte du petit juge (trad. Christophe Mileschi), ed. Points, 383 pages, 7, 70 euros.