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The killer inside me

Littérature noire

Night Train : vie et mort d'un méchant champion de boxe

" Autant Sonny peut être considéré comme le premier champion rock'n'roll, autant Clay est sans aucun doute la première idole de la boxe formatée pour la télévision. Clay a rapidement été englouti par l'océan de médiocrité, formé d'une foule de caméras et de micros, devant lesquels il exécutait ses jolies danses, ces gesticulations et ses provocations inoffensives et vaines." Nick Tosches a écrit Night TRain en 2000 après plusieurs années d'enquête. Le livre est sorti en 2002 en France, réédité cette année. Intéressant, d'autant que Mohamed Ali, anciennement Cassius Clay est mort il y a dix huit mois. Et tout le monde se souvient de cette photo de sa revanche face à Sonny Liston, avec son bras courbé et son visage hurlant "relève-toi mauviette ! " Sauf que Nick Tosches raconte une histoire bien différente. Celle de Charles Liston dit Sonny, né en janvier 32, mais en est-on vraiment sûr ?, du côté de Forrest City en Arkansas. Un gamin battu par son père qui, lassé de travailler la terre pour pas un rond, rejoindra sa mère à Saint-Louis à 14 ans. Illettré, le gamin va commencer à traîner. Et faire des mauvais coups. Après plusieurs braquages, agressions, il finit en prison. Un prêtre le prend sous son aile et met à la boxe ce colosse qui ne trouvera pas de gants à la taille de ses énormes poings. La légende est en marche. En amateur, Sonny Liston défonce tout le monde, il fait mal, il détruit. Lorsqu'il passe en professionnel et c'est là sa tragédie, son management est, en sous-main,assuré par une partie de la pègre et notamment Frankie Carbo, Blinky Palermo. C'est cette ombre qui freinera Patterson : champion du monde en titre des poids lourds, il rechigne à affronter un boxeur à l'environnement trouble. Mais le combat se fera. Sonny le gagnera. La revanche aussi. Grand buveur hors période d'entraînement, homme à femmes même s'il est marié, Sonny n'est pas le sportif vertueux dont l'Amérique a le secret. Pire, il fait un peu honte aux représentants de la communauté noire. Lorsque Cassius Clay se présente face à lui, à Miami, le 25 février 64, pour le titre mondial, tous les observateurs savent que Liston ne va en faire qu'une bouchée. Mais voilà. A la 7e reprise, Sonny prétexte une douleur au bras pour ne pas reprendre ! Stupeur. D'autant que des paris insensés sont enregistrés aux quatre coins du pays... Le doute se répand. Du coup aucun Etat ne veut organiser la revanche. Sauf le Maine, le 25 mai 65. Cette fameuse photo d'un Ali furax. Et pour cause : dans ce premier round il n'a fait que danser devant les moulinets de Liston. Et puis ce fameux "coup fantôme", juste un poing en avant, sans force, qui envoie Sonny au tapis, lui qui n'y était allé qu'une seule fois dans sa carrière, lui qui avait gagné un combat la mâchoire brisée... 120 kilos de muscles ainsi effondrés ?
Nick Tosches a un talent démentiel, démesuré. D'abord pour trouver les bonnes infos, retrouver les journaux mais surtout mettre la main sur les témoins, les faire parler, voire se confier. Il ne cache pas son affection pour Sonny Liston, bad boy d'une Amérique qui ne s'est pas regardée en face, un géant d'une affection rare avec les enfants, un surdoué pris au piège de la mafia et redevenant une sorte d'esclave, un noir qui a commencé par braquer des stations services pour 33 dollars avant de s'acheter des villas à 70 000 dollars. Et ce sont tout ces paradoxes que Nick Tosches sublime dans ce qui est plus un roman qu'une biographie détaillée. La plume de l'auteur est forte, acide et il n'hésite pas à interpeller le lecteur, à le bousculer, le réveiller. Night Train fait aussi réfléchir sur la manipulation médiatique, le pouvoir de l'image, particulièrement aux Etats-Unis. Car finalement à la lecture de ces 300 pages, on se dit que Mohamed Ali était un sacré champion mais qu'il était un produit, une partie du business pugilistique que n'a jamais été Sonny Liston, à l'histoire bien plus capiteuse, bien plus humaine. Et tragique. Bouquin monumental.

Night Train (trad. Julia Dorner), ed. Rivages, 309 pages, 8, 50 euros.
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