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The killer inside me

Littérature noire

La conspiration des médiocres : chute de la maison Argentine

Le lecteur sort rarement indemne des romans d'Ernesto Mallo. L'auteur argentin, désormais installé à Barcelone, pile les heures sombres de la dictature argentine avec des histoires d'amour violentes, tout cela vécu par son policier Perro Lascano, âme noble mais déchirée. Avec La conspiration des médiocres, quatrième opus des enquêtes de ce policier de Buenos Aires, et première en grand format chez Rivages, Mallo prend le parti de retourner dans le passé, dans les terribles journées de 1976, quand la junte est sur le point de prendre le pouvoir.
Il y a donc une dimension politique chaotique, c'est l'époque Perron et les flics sont des meurtriers, agissant sous le nom d'une milice baptisée la triple A, alliance anticommuniste argentine. Une répression combattue à coups d'attentats par la guérilla marxiste. Lascano ne fricote avec aucun, traumatisé dès son enfance par le meurtre de ses parents, il ne se sent aucune affinité avec le chef de la police et ses sbires. Il reste dans son coin. On lui refile d'ailleurs les affaires les plus minables.Comme le suicide de cet Allemand,  Böll. Sauf que le légiste lui dit qu'il y a un gros problème : l'Allemand est gaucher et il s'est tiré une balle dans la tempe droite. Du jamais vu. Lascano que l'on ne surnomme pas perro (chien) pour rien, fouille et fait traduire le journal de Böll par Marisa, beauté pure et, elle aussi, âme blessée. Le jeune enquêteur va tomber sur les ésotériques secrets d'un réseau d'anciens gradés du IIIe Reich. Pendant que tout autour de lui, l'Argentine s'apprête à tomber aux mains des généraux.
La conspiration des médiocres, comme souvent chez cet auteur, démarre sur un faux rythme, la découverte du corps de Böll ne créé pas la tension, c'est plutôt l'environnement policier qui met une certaine pression, l'environnement social aussi avec plusieurs manifestations étudiantes, des "descentes" de flics dans les facultés." En sortant de la morgue, Lascano remarque qu'il a plu. Le genre de pluie soudaine et brève qui barbouille la ville et fait monter le taux d'humidité de l'air au même niveau que celui d'un bain turc. L'obscurité arrive tôt. Il décide de marcher. Il n'a pas fait cent mètres qu'il tombe sur des étudiants qui entrent et sortent de la fac d'économie. Il se demande pourquoi il n'est pas là lui aussi, , avec eux, au lieu de faire ce boulot de flic à la con dans cette police pourrie. Il se demande pourquoi il ne laisse pas tomber, pourquoi il s'accroche; l'absence de réponse le rend dingue et quand il se force à en trouver une, il se contente de dire qu'il ne sait rien faire d'autre."
L'enquête proprement dite, même si le lecteur sait qu'il y a anguille sous roche, ne mobilise pas le lecteur. C'est aussi un classique du genre noir. D'accord, les nazis en Argentine, ce n'est pas non plus un scoop et l'auteur ne s'éternise pas dessus. Il fait juste durer l'attente. Et puis tout s'accélère, avec d'abord cette passion de Lascano et Marisa magnifiquement mise en scène, torride à souhait, pudique, avant de voir l'Histoire argentine qui s'écrit là. Dans le sang. Les 50 dernières pages sont un sprint suffocant, avec les dialogues si spécifiques de Mallo et ce sens de l'action. Poursuite en voiture, attentats, barbouzes et déchirement des coeurs... les médiocres, ces petites mains du "boucher " José Lopez Rega, vont conduire le pays dans une impasse qui durera presque dix ans et fera plusieurs dizaines de milliers de morts. Lascano en est à la fois le premier témoin et la première victime. Il y a du génie et une émotion énorme, dans cette série.

La conspiration des médiocres (trad. Olivier Hamilton), ed. Rivages, 202 pages, 18 euros.
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