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The killer inside me

Littérature noire

Dans les angles morts : enfin un bon thriller

Il y a un soupçon de Shining, le livre, avec cette ferme "habitée", par des ombres qui ne seraient pas visibles pour tout le monde. Mais on trouve aussi la poésie des cieux filmés par Gus Van Zant, des traînées de nuages, des couleurs changeantes. Et puis on peut mettre aussi une touche de Jim Thompson, tiens, avec ce personnage principal qui vit derrière un masque comme le fameux Lou Ford. Dans les angles morts est ainsi une formidable réussite dans un genre qui produit essentiellement du mauvais, voire de la daube : le thriller. Mais est-ce totalement un thriller ?  Les dimensions psychologiques et sociales sont si profondes et si justes que l'on se retrouve presque dans l'analyse ethnologique d'une "tribu" du nord-est des Etats-Unis. Parce que le meurtre finalement on s'en contrefiche un peu. Enfin, c'est spectaculaire, effrayant mais l'auteur Elizabeth Brundage propose bien autre chose qu'une enquête. Elle brosse quasiment une douzaine de portraits et c'est passionnant parce que ça sonne vrai. En premier lieu ces paysans, les Hale, qui se font saisir leurs vaches parce qu'ils n'arrivent plus à payer la banque. Et qui se suicident ensuite laissant trois gamins sur le carreau. Trois frères que le lecteur suit pas à pas, dans leurs rêves, leurs reconstructions, leurs échecs. Et cette Justine ? Hippie de première catégorie donnant des cours de tissage à l'université ? Willis, sortie tout juste de l'adolescence et pétrie de complexes, de contradictions et d'une envie folle d'aimer ? On parle souvent de galeries de personnages, là c'est une famille de personnages, tellement Brundage parvient à les rendre proches.
Avec une narration magnifique, qui alterne les instants quasi-fantastiques et les moments de vie ordinaire, ponctués ici et là d'un rien de poésie. Une façon aussi de présenter les dialogues comme ça, sans tirets ni guillemets, pour happer une fois encore le lecteur. Avec son long et précis flash back contant l'installation du couple Clare dans la ferm des Hale, dans cette commune, cette communauté réduite (ça c'est quand même très Stephen King non ?) et enfin le retour à l'actualité et ce même shérif qui ne parvient pas à saisir la moindre piste. Avec le personnage de George, l'auteur fait un douloureux parallèle entre l'école des peintres de l'Hudson et ce qui se passe vraiment dans la petite ville de Chosen. Encore une fois, le masque dans la société ricaine et évidemment une sorte de paradis perdu. On y revient toujours. A cette notion et aussi à celle de la religion chez les Américains, entre le cartésien George, la pieuse Catherine, l'illuminé De Beers... tous ont un avis sur la religion, elle reste omniprésente. Le Bien, le Mal, traités comme des moteurs inconscients de l'existence.
Alors oui, Dans les angles morts est un roman de premier ordre. Il y a comme un tour de magie ici, une ambiance continue de malheurs, de mensonges, de destins fracassés. Dans les thrillers, souvent, on a cette représentation du Mal, un psychopathe, un homme dangereux. Là non, c'est bien plus politique pourrait-on dire puisque c'est la société qui est mauvaise et dure. Notamment avec les plus faibles. Avare en effet, Elizabeth Brundage lâche ici et là quelques scènes assez incandescentes, lorsque Catherine observe le pare chocs de la voiture de son mari ou bien quand elle célèbre à sa façon la Saint-Valentin, quand Cole quitte la maison le jour du meurtre. C'est simplement très bien écrit.

Dans les angles morts (trad. Cécile Arnaud), ed. Quai Voltaire, 512 pages, 23, 50 euros.
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G
j'en suis au premier quart, j'aime beaucoup l'écriture !!
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L
Je suis ravie que tu aies aimé et surtout de cette superbe chronique ! Des bises. Lau
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