Littérature noire
12 Août 2018
L'univers de Ross MacDonald, c'est la Californie des années 50, les Plymouth, les Buick, les Chevrolet, les cocktails Gibson et bien sûr les jolies filles inabordables. L'univers de Ross MacDonald, c'est aussi celui des inégalités. Homme de gauche, le créateur du détective privé Lew Archer prend volontiers la défense des faibles, des hommes et des femmes écrasés par le pouvoir, par un monde d'après-guerre déjà sans pitié. Dans Les oiseaux de malheur (sorti en octobre 2015), septième aventure d'Archer, MacDonald s'intéresse aux personnes internées. Indirectement bien sûr, ce n'est pas Vol au-dessus d'un nid de coucou ! Mais il évoque Carl Hallman, riche fils aîné d'un grand propriétaire terrien, par ailleurs sénateur et, justement, décédé il y a quelques mois. Carl, pris d'un délire psychotique, a été interné " pour son bien ", par son frère, Jerry. Mais aussi par la femme de celui-ci, Zinnie. Et puis avec un coup de main du docteur qui a plus que des vues sur la Zinnie en question.
Mais voilà, Carl s'est évadé avec un toxico et ce dernier, en écoutant ses soupçons sur la mort de son père, lui a dit de s'adresser à Lew Archer pour tirer tout ça au clair.
Pour être honnête, le temps que Ross MacDonald installe tout son décor, on s'ennuierait presque, tant c'est lent à se mettre en place. Archer doit d'abord subir les propos un peu incohérents de Carl puis essayer de comprendre que, d'abord la mère est morte, ensuite le père. Et voilà Jerry, toute la famille... bon, c'est classique, il faut dans un bon hardboiled, des intrigues, un peu retors, des filles plus ou moins tentatrices, une vague de fausses pistes. Et puis aussi de la monnaie, en l'occurrence un héritage estimé à 5 millions de dollars. Une fois que tout cela est enclenché, là Ross MacDonald régale à tous les étages. Lew Archer est un chien de chasse, il flaire, il mordille et il remue même la queue. Parfois aussi il se prend un coup de crosse en travers de la figure. Mais, pas grave. L'homme est debout face à ceux qui voudraient que Carl endosse, mort ce serait mieux, la responsabilité de tous les cadavres de la famille.
Ce n'est peut-être pas le meilleur de ce que nous avons lu pour l'instant (Le sourire d'ivoire et La côte barbare) ou alors est-ce simplement que l'on s'habitue au monde de l'auteur ? Mais Les oiseaux de malheur possède cette classe indéniable des romans policiers du début, des dialogues fins, jamais vulgaires, vraiment intelligents, avec un rien d'humour noir. Et puis ces personnages féminins au bout du rouleau, la mère qui se tape des bouteilles de Gin en plein après-midi, la gouvernante fatiguée, en passant par la maquerelle au double menton, sans oublier Mildred, la femme de Carl..., Ross Mac Donald propose le meilleur et le pire de la femme.
Même avec ce début poussif, cela demeure un roman de grande qualité, grâce aussi à trente dernières pages magistrales, qui ont la finesse d'un puzzle de 5 000 pièces !. Ross MacDonald est-il un classique ? Oui.
Les oiseaux de malheur (trad. Jacques Mailhos), ed. Gallmeister, 274 pages, 10 ,50 euros.