Littérature noire
2 Octobre 2018
" J'en avais des dizaines, de ces bons souvenirs, des centaines, la plupart associés à Billie, j'en avais pour toute une vie, parce qu'un enfant vous comble une existence en criant lapin, mais j'aurais préféré devenir amnésique sur le champ plutôt que d'en être réduit à me rappeler que j'avais déjà été heureux. Il n'y a rien de plus triste qu'un bon souvenir quand la fillette avec qui vous devriez le partager n'est plus là pour que vous lui rafraîchissiez la mémoire..."
Un jour, après l'école, la fille de Bill Richard, Billie donc, a disparu. Aucune trace. Aucun témoin. La police est en échec. La douleur inconmensurable du père, la dérive mentale de la mère ont fait exploser le couple. Bill déménage au bout de trois ans dans le village de Rivière-aux-Trembles, ignorant qu'ici même s'est joué, il y a près de trois décennies, une autre disparition, celle de Michael, 12 ans, alors qu'il jouait tranquillement avec sa meilleure amie, Marinie. Cette dernière est restée profondément marquée par cette journée. Et si elle est de retour dans le village de son enfance, c'est pour enterrer son père et sans doute aussi, ce terrible souvenir. Sauf qu'un autre enfant vient, à son tour, de disparaître.
Après le génial Bondrée, il y a deux ans, la Québécquoise Andrée A. Michaud revient avec Rivière tremblante et cette même idée en tête : les enfants, leur hauteur de vue, face à la Nature qui, si elle n'est pas menaçante, renferme des secrets pas forcément avouables. Ici, tout part d'un mensonge : il n'y a pas d'arbres de type trembles autour de la rivière, le nom vient de la langue innu, nanamiu-shipu, rivière tremblante, référence probablement à un lointain tremblement de terre. Rien n'est donc sûr dans ces lieux de glace et de neige. Rien n'est évident et le mal, bien sûr, n'est pas loin.
Adepte d'une langue douce, Michaud étire tant la narration que la douleur, dans une première partie d'une grande émotion. En parallèle, Bill et Marnie trainent leur souffrance, comme un énorme baluchon. Il y a là des lignes d'une grande force, sur la séparation, la mort de l'innocence. Michaud creuse profond dans le coeur du lecteur, jusqu'à lui faire sentir cette absence. Puis le roman chavire sur l'enquête de cette nouvelle disparition. C'est assez classique, mais encore une fois, la prose spécifique à la Belle Province enchante le récit : " toutes mes idées sur la famille avaient sacré le camp...", " à dix huit ans elle en avait eu plein le casque...", " ce qui les chicotait c'était mon intérêt pour les enfants disparus..."
L'amateur de thrillers bodybuildés ou de polars tut simplement, trouvera peut-être le temps long dans la première partie de ce roman qui s'attelle à définir les différentes strates de l'enfance massacrée. On trouve ici pourtant ce qui fait le charme d'un auteur comme Thomas H. Cook. Une précaution dans les sentiments, une ambiance d'amours souillés par le drame, un temps plus élastique. La petite touche personnelle d'Andrée A. Michaud c'est qu'elle se refuse à expliquer tout, un peu comme cette neige qui se dépose, elle enfouit des réponses, étouffe les pistes. C'est malin et vrai. Autant dire que l'on attend avec impatience la publication des autres romans de cette auteure au style si particulier.
Rivière tremblante, ed. Rivages, 363 pages, 21 euros