Littérature noire
5 Février 2019
Jack Boucher a des ennuis à la pelle. 12 000 dollars qu'il doit remettre à une reine de gang. 30 000 qu'il doit trouver pour conserver la propriété de sa mère adoptive. Et toujours ces névralgies, des migraines XL qui le clouent au sol. La faute à trop de combats clandestins, de coups reçus depuis 20 ans dans les arrière-cours. Comme si cela ne suffisait pas, dans un accident de la route, il perd la précieuse enveloppe de 12 000 dollars. A quarante ans, son cas ne s'améliore pas.
Dans cette même région du Delta du Mississippi, Annette taille la route avec une bande de forains, des repris de justice, des hommes qui fuient quelque chose. Elle, le corps recouvert de tatouages, a quitté son job de gogo danseuse pour jouer les freaks dans ce cirque ambulant, sous la protection de Baron. Ce sont eux qui tombent sur l'accident de Jack Boucher. Celui-ci a déjà été évacué mais ils récupèrent la fameuse enveloppe de fric... et un cadavre. Franck va devoir composer avec des créanciers hyper violents, Annette avec un argent qui lui brûle les doigts.
Déçu par le premier roman de Michael Farris Smith, enthousiasmé par le deuxième et re-déçu par ce Pays des oubliés, c'est un peu les montagnes russes avec cet auteur. Pourtant question scène d'ouverture il s'y connaît, il sait planter une tension, répondre par une grosse scène (l'accident) mais le hic c'est que l'on ne croit pas à ses personnages. Franck, boxeur clandestin ? A 40 ans ? C'est difficile à avaler. Vraiment pas réaliste quand on connaît l'univers pugilistique, ce type de milieu glauque. Logiquement, Franck devrait être retiré, videur de boîtes louches, encaisseur, chauffeur. Avec un corps en miettes, mains, poignets, épaules... là, c'est la tête d'accord. Mais c'est tout. Quant à ce dernier combat, cela ressemble plus à une bande dessinée. Et il en est de même avec Annette, la poupée tatouée, au coeur d'or, courageuse, humaine... on retient ce monologue totalement creux avec l'enveloppe de billets, presque un moment de gêne dans la lecture. Des caricatures qui vont jusque dans l'histoire et la rencontre pénible parce que téléphonée de ces deux protagonistes tellement prévisibles. Dommage. Car les personnages les plus réussis sont finalement les personnages secondaires, la mère lesbienne de Franck et Baron.
Dernier mot pour dire que le titre Le pays des oubliés (traduction de The fighter) fait songer à une Amérique des laissés pour compte, il n'en est rien, peu de peinture sociale ici, si ce n'est cette vieille mère malade, mourante loin de sa maison familiale, sans que l'on connaisse plus avant les raisons de la saisie sur cette demeure. Avec le recul ce livre rappelle, par les défauts, Les infâmes de Jax Millar, une intrigue qui aurait pu se tenir si il y avait eu un peu plus de sincérité, de réalisme, de chair humaine. Enfin, pour lire un vrai roman sur les combats clandestins, on peut encore se référer au Donny Brook de Franck Bill.
Le pays des oubliés (trad. Fabrice Pointeau), ed. Sonatine, 249 pages, 20 euros