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The killer inside me

Littérature noire

"Les Stones voulaient m'interdire d'utiliser le titre !"

Il était l'invité d'honneur de Frontignan et son Festival International du Roman Noir, pour, seulement, la deuxième fois en France (il y a six ans il était à Quais du polar). A 74 ans, Kent Anderson conserve une certaine vivacité, le sourire et l'envie de raconter encore et encore. Ces jours-là, malgré la canicule, l'homme n'a pas quitté ses superbes santiags rouille, son jean et sa chemise noire. Toujours accompagné de son éditeur Robert Pepin, l'auteur de Sympathy for the devil est du genre à prendre le temps de répondre aux questions, des journalistes comme des lecteurs. Entre un bon éclat de rire, une Bible qu'il feuillette à l'arrière du mini bus, des nouvelles de son cheval en pension chez lui au Nouveau Mexique et le mime d'une interpellation. Un type normal et un très grand écrivain.

Vous avez dit (in Publishers weekly) que vous avez écrit Un soleil sans espoir, en entendant aux informations les différentes bavures dans les rues en Amérique. C'est-à-dire ?

J'avais pris des notes pour un futur livre quand j'ai entendu ça. Et j'ai voulu faire une sorte d'examen de conscience du flic que j'étais à cette époque. Tous mes romans sont un examen de conscience. Je comprends que les policiers lorsqu'ils entrent dans un ghetto noir, voient les gens en face comme l'ennemi. Tout le monde est leur ennemi. La différence, c'est que moi, après ce que j'avais vu, vécu à l'armée, je ne pouvais pas être comme ça. Le problème en ce moment c'est que plus personne ne veut faire flic, donc ceux qui ont le job ne sont pas les meilleurs. Lorsqu'un individu enfile cet uniforme de la police, les gens voient en lui un raciste, un idiot, un sale mec. Je me trompe peut-être mais les flics maintenant ont peur et les services de police se concentrent sur la sécurité de leurs hommes et enseignent aux jeunes à ne pas se faire tuer, c'est le point essentiel.

Un soleil sans espoir est tout de même votre roman le plus positif.

Parce qu'il y a une happy end. Je pense encore qu'avec les bonnes manières, on fait des miracles. Les gens en face s'attendent à de la brutalité. Moi, je préfère montrer du respect. Dans l'histoire de la civilisation, la politesse a été inventée pour que les gens ne s'entretuent plus ! Je ne cherchais pas à faire un livre sur les bons policiers, j'ai écrit comme ça se passait. Il ne faut jamais que le type en face voit de la peur dans vos yeux.

En 1987 vous publiez Sympathy for the devil. Mais pourquoi prendre ce titre des Rolling Stones ?

Ce n'était pas un choix facile parce que je ne voulais pas que les lecteurs pensent que c'était un livre sur la musique. Si c'était à refaire, je changerais. Les propriétaires des droits des Stones aux Etats-Unis ont tenté de m'interdire d'utiliser ce titre, ils voulaient beaucoup d'argent bien sûr. En France, il y a des lois sur le copyright mais ce n'est pas pareil aux Etats-Unis. A cette époque, ma belle-fille était à l'aéroport à Londres quand le livre est sorti et, comble du hasard, elle croise les Stones dans l'aérogare. Du coup elle appelle Mick Jagger et elle lui a donné un exemplaire... bon je pense qu'il a fini à la poubelle. C'est un titre absolument parfait pour ce roman. J'ai conscience d'être un monstre dans ce roman. Enfin, plutôt comme je le dis chaque fois, le monstre qui vient vous rendre visite.

Combien de temps êtes-vous resté au VietNam ?

Juste un an. J'ai été enrôlé à 23 ans, j'étais à la fac, je sortais avec des filles magnifiques, je roulais en bécane. Quand j'ai eu mon ordre d'incorporation, il y avait la solution de m'enfuir au Canada. Bof... Ou d'aller en prison. Vu comme j'étais mignon, j'y aurais passé un sale quart d'heure. Mais s'il faut aller au VietNam, on va le faire à fond et j'ai demandé les Forces Spéciales. Un an d'entraînement dans un camp en Caroline du Nord, pas trop loin de chez moi. Et après, direction le VietNam. De suite, on est partis sur une mission de quatre jours, au Nord, dans la jungle. Première embuscade, il y avait nos balles traçantes rouges, les leurs, vertes. Je ne voyais pas d'ennemi. Avant cela la seule personne morte que j'avais approché, c'était mon grand-père dans son cercueil. Là, à la fin de l'échange, il y avait des cadavres tout autour de moi. J'ai commencé à flipper, à me dire, je peux pas faire ça douze mois. Je vais tenir trois mois maximum. Une peur énorme, totale, vous envahit de la tête aux pieds. Un sentiment jamais ressenti. Comparable à l'amour. Sauf que là cette peur s'est auto-annihilée parce que je me suis dit, OK tu vas mourir, forcément. Donc je n'avais plus peur. J'ai fait deux contrats de six mois dans des unités où il y avait 80% de pertes. Et jamais je n'ai haï l'ennemi. Jamais : je n'avais aucune raison de le faire. Comme je n'avais aucune raison de retourner au VietNam plus tard...
La métamphétamine tournait beaucoup ?

Oui. On l'appelait le pop-corn des Forces Spéciales. Dans notre mess, il y avait des bières, de l'alcool et au-dessus du frigo, un grand bocal rempli de dextro amphétamines (utilisées dans les traitements contre la narcolepsie). Le matin on se levait, il faisait noir, je me buvais une bière et j'avalais une poignée de deux ou trois comprimés avant d'écouter à fond Blackbird, des Beatles, sur un magnéto que les copains avaient rapporté d'une perm' à Hong-Kong. Je me sentais bien. Les amphétamines sont une super drogue pour faire la guerre. C'était déjà utilisé pendant la Seconde Guerre Mondiale. D'abord ça vous tient super éveillé. Encore plus quand vous avez 23 ans. Mais ça vous donne également une sorte de courage, de confiance chimique... j'ai failli resigner pour un troisième contrat mais je me suis dit tu vas finir par te faire buter.

Quels sortes de syndrômes post traumatiques au retour ?

C'est très différent pour chacun. Au VietNam j'étais le Prince de la Terre grâce à ce costume des Forces Spéciales. A la base de Da Nang, en perm', on y allait pour se bourrer, avec le béret vert bien visible sur ma tête. On portait non pas des armes américaines, mais des armes prises à l'ennemi, les AK 47 ou une Thompson ! On marchait au milieu des soldats américains et tous fuyaient notre regard, s'écartaient. Mais quand je suis rentré à Greensboro, en Caroline, plus personne ne faisait attention à moi. Je devenais fou. Je buvais, je me battais dans les bars, je courais après les femmes des autres. J'ai du quitter la ville. Je n'étais pas du tout un héros. Quand j'ai atterri, en revenant du Viet Nam, j'étais endormi et à mon réveil, l'hôtesse de l'avion a lancé un regard sur mon costume des Forces Spéciales, vraiment comme si j'étais un monstre. Je suis descendu et derrière une poubelle je me suis changé en civil ! Toutefois personne ne m'a rien dit, personne ne m'a craché dessus. Pas que je sois costaud, simplement j'ai toujours eu ce regard, un peu perdu.

Et comment êtes vous passé de l'armée à la littérature ?

Avec ma femme, on n'avait pas d'argent. Pour passer l'hiver on était parti dans un super cottage à Mendecino, en Californie mais tous les week-ends, c'était habité, donc on dormait dans des sacs de couchages à la belle étoile. C'était un temps où je ne sortais plus au contact des gens, j'avais simplement peur que l'on me bouscule et que le mec ne s'excuse pas.... La nuit je me promenais autour de grandes mares, derrière la maison, je voyais les étoiles se reflétaient dans l'eau. C'était très reposant, je comprenais certaines choses, les connexions dans l'univers... Mais je n'avais pas de boulot : comme d'autres vétérans, on avait une mauvaise image. Ma femme était de Portland, alors on y est allé. Et je découvre que le seul boulot possible, c'était policier. Comme souvent après toutes les guerres. Dans ce boulot, j'écrivais des rapports d'interventions qui étaient bien ficelés, très précis, avec même des dialogues. Quand on m'appelait au tribunal pour des dossiers, c'était rare que je sois pris en défaut. Enfin, si, c'est arrivé une fois. Mais ces rapports étaient trop bien écrits pour être taillés en pièces par les avocats de la défense, je racontais minutieusement toute l'intervention. J'avais fait une demande de bourse pour pouvoir écrire. Et on a été trois dans tout l'état à l'obtenir ! Deux gars qui étaient dans le milieu et moi, l'officier Anderson. Je venais de faire quatre ans dans la police et je suis retourné donc à la fac'.... Mais je n'arrivais pas à m'intégrer au monde étudiant, je continuais de boire. J'ai voulu retourner dans la police, à Oakland, parce que c'était bien payé, il y avait notamment une couverture médicale. Mais je n'ai tenue cette fois que quinze mois. J'avais 38 ans. Qu'est ce que je pouvais faire de ma vie ? J'ai écrit Sympathy...

Pour le cinéma, vous avez travaillé pour John Milius (scénariste d'Apocalypse now). Une bonne expérience ?

Cela s'est fait après Sympathy. Ma femme enseignait la poésie à l'université de Californie... tout le monde se dit poète, mais elle était vraiment douée ! Enfin, moi j'écrivais Chiens de la nuit, il fallait que je fasse quelque chose. Pourquoi pas à Hollywood ?Un pote m'a dit que John Milius était celui que je devais rencontrer, à cause de son travail sur Jérémiah Johnson, qui est aussi un vétéran. J'ai donc envoyé Sympathy à son agent et j'ai attendu. Quelques jours après, il m'a invité à son bureau à Paramount. Il avait un entourage de flatteurs, des gens qui lui disaient que tout ce qu'il tournait était super. Moi je n'avais pas ce genre de précautions, je lui expliquait que ça, ça fonctionnait et puis ça, pas du tout. C'était en 91 il sortait de Fly of the intruder qui était un flop. Et donc on a bossé sur Motorcyle gang mais ensuite, j'ai pris mes distances.

Il y a 20 ans, le grand James Crumley venait lui aussi au festival de Frontignan. C'était un ami ?

Je l'ai rencontré grâce à un pote commun, Crumley enseignait à la fac, dans l'Oregon. J'habitais dans le coin à l'époque, dans une ville qui s'appelait Boring. C'est pas très drôle comme nom hein ?! C'était le nom du fondateur de la ville, William Boring. Et avec Crumley, on s'est retrouvé dans la taverne, à boire des bières. Il l'a raconté dans la première édition de Sympathy, en préface. On s'aimait bien. A un moment on vivait dans le même quartier à El Paso. Il voulait que je l'accompagne comme garde du corps, pour un scénario qu'il préparait pour Tri Star. En fait, il voulait leur tirer un peu plus de fric je pense ! J'aimais aussi beaucoup Harry Crews mais en revanche on ne s'est jamais rencontré, on se parlait au téléphone, on s'écrivait.

Pourquoi répétez-vous que Moby Dick est votre Bible ?

Pour certains Huckleberry Finn demeure le roman américain. Mais le capitaine Achab est mon héros, celui qui hurle « si le soleil m'insultait, je l'abattrais ». J'ai aussi beaucoup d'admiration pour Conrad. Et Tom Wolfe. Attention, pas Thomas Wolfe.

Continuez-vous d'écrire ?

Je travaille sur des mémoires. Je repars à l'âge de 19 ans. Ce n'est qu'un début et je ne sais pas si ça pourra faire un livre.

 

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