Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Revolver : cinquante années d'une famille de flics à Philadelphie

Sixième roman de Duane Swierczynski qui a beau avoir posé ses valises du côté de Los Angeles il y a plusieurs années, n'en demeure pas moins un des grands écrivains de Philadelphie, sa ville natale. Et l'auteur du mythique The blonde, du sanglant et poilant Mort à tous les étages, poursuit son chemin qui le voit s'éloigner du pulp de ses premières années pour, après Canari (en 2017), mieux se tourner vers le polar. Et son Revolver fraye autant avec les thèmes classiques du genre (flic ethylique, politique, secret de famille et tensions raciales) qu'avec une volonté d'offrir une narration culottée. Dans un entretien à un blogueur américain, Duane Swierczynski confiait, à la sortie de ce roman, que les flashbacks le gênaient comme lecteur, cassaient justement le fil de l'histoire. Et qu'il fallait, lui, qu'il trouve un procédé pour tisser sa toile.
7 mai 1965 : " à ce moment-là le soleil se déverse dans le bar, accompagné d'une nouvelle vague d'air chaud qui souffle de Fairmont Avenue. Stan et Georges se tournent de concert, s'attendant à moitié à revoir l'ouvrier du bâtiment de tout à l'heure. Peut-être qu'il a changé d'avis, qu'il a décidé qu'une mousse ici c'était mieux qu'une mousse nulle part. Mais ce n'est pas l'ouvrier. C'est un homme avec une arme. Un revolver." Fin de la première scène qui va être tout le noeud de Revolver. Stan Walczak (Wal-Chak) est un flic d'origine polonaise. George Wildey est son collègue, noir. Tous deux vont être abattus dans ce bar sans que le meurtrier ne soit jamais arrêté. Trente ans plus tard, Jim le fils de Stan, est devenu flic à la criminelle et enquête sur le meurtre d'une jeune journaliste pendant son jogging, dans le quartier chic et blanc de Philadelphie. Bon policier, bien que porté un peu trop sur la Stolichnaya, Jim Walczak est le père de trois enfants, Stas, Cary et Audrey. C'est cette dernière qui est le sujet du troisième espace temps de Revolver, en 2015. Etudiante en criminologie scientifique à Houston, cette jeune fille tatouée revient à Philadelphie pour l'inauguration d'une place à la mémoire de son grand-père et de son collègue morts en service. Vilain petit canard de la famille, elle décide de faire son mémoire de fin d'études sur ce cold case familial, gros boulet que se traîne autant son père, que sa grand-mère mais aussi ses deux frères. Elle espère ni plus ni moins solutionner cette affaire cinq décennies plus tard. Et pour cela commence par démonter le funeste comptoir du bar où Stan a perdu la vie... sait-on jamais, la version officielle n'est peut-être pas la bonne.
Swierczynski, sans verser dans la vie de commissariat façon Joseph Wambaugh, est habile. Son parti pris narratif est hyper casse-gueule mais il trouve très bien son équilibre, distinguant les trois périodes, développant trois intrigues différentes qui, bien sûr, n'en font qu'une. A cela, il ajoute - peut-être cela aurait-il mérité un peu plus de place ? - tout le contexte ségrégationniste de cette ville avec notamment les émeutes de 1965 qui virent Martin Luther King soutenir les manifestants au mois d'août (en juin 2009, des enfants noirs et hispaniques se verront encore refuser l'entrée d'une piscine dans cette même ville). Et l'auteur d'insister sur le racisme ordinaire des Polonais, traitant à tout bout de champ chaque noir de murzyn, plus ou moins équivalent à négro...
C'est donc autant une histoire familiale qu'une histoire de Philadelphie à travers cinquante années et trois générations de policiers. Il est aussi beaucoup question de musique (surtout dans les deux premières tranches), de Solomon Burke à Bob Dylan ou les Stones. Mais ce qui retient le lecteur c'est cette faculté de Duane Swierczynski à peindre les situations du quotidien et notamment les nombreuses beuveries et bitures de la famille Walczak ("quelle heure ton avion?" demande Cary. Pas par curiosité. Il a promis de l'emmener et il se demande maintenant comment il va pouvoir décuiter à temps. "J'ai changé mon billet. Je reste quelques jours de plus." Cary se redresse et secoue la tête. La question qu'il essaye de formuler est retenue par le barrage d'infinis champs de cellules cérébrales mortes. Son cerveau doit calculer un iitnéraire alternatif. Calcul en cours, calcul en cours... Ah voilà, c'est fait. "Attends, pourquoi ?"). Les personnages sont aussi réussis, jamais caricaturaux, avec une mention spéciale pour cette Audrey en surpoids et dans une panade XXL, femme drôle et de caractère (bon sang ce qu'elle descend comme Bloody Mary !) dans un univers machiste au possible. On reste un peu sur notre faim pour la résolution rapide de l'intrigue mais pas de quoi gâcher le plaisir d'un bon vieux polar à l'ancienne. Duane Swiercynski est sans doute l'une des plus belles recrues de Rivages ces dernières années.

Revolver (trad. Sophie Aslanides), ed. Rivages, 375 pages, 23 euros
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Mais oui, quelle construction !
Répondre