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The killer inside me

Littérature noire

Les oubliés de Londres : agitation sociale et fin d'un monde

Camden. Nord de Londres. Pendant des décennies les petits Français, et les autres, amateurs de rock s'y sont rendus en quasi pélerinage pour trouver les meilleurs disques, les meilleurs fringues voir les meilleurs concerts à l'Electric Ballroom, à l'Underworld, et puis boire les meilleures pintes à l'Elephant's Head... Aujourd'hui le quartier tourne à l'attraction touristique, des rues entières sont achetées par des banques pour faire du Airb'n'b, le Camnden market va être rasé.... L'âme des lieux est confisquée. Et pour Eva Dolan, c'est une tragédie. La jeune auteure britannique, après deux remarquables polars sur le racisme ambiant en Angleterre mettant en scène sa fliquette Mel Ferreira, s'intéresse, avec Les oubliés de Londres, à la gentrification de l'ancienne Londinium. Ah ce mot ! Qui a eu l'idée d'appeler ainsi le fait de voir des villes expulser vers les banlieues et même plus loin ces habitants les plus pauvres et même les classes moyennes ? Gentrification ! Des capitales qui, lieux de vie populaire, se sont petit à petit transformées en Disneyland pour touristes aisés et investisseurs richissimes. Il y a eu New-York, voilà Londres.
Hella Riordan a la petite vingtaine. Fille de flic, jetée de l'académie de police, elle est devenue activiste, agitatrice sociale. Il y a quelques mois elle s'est fait remarquer lors d'un sit in, en provoquant la police et en se faisant matraquer d'une force qui lui a valu la Une des médias. Et le respect de ce milieu contestataire. Mais cette fois, ça dérape un peu. Au cours d'une soirée de mobilisation, elle se retrouve avec un cadavre sur les bras. Sa protectrice, Molly, soixante ans, de toutes les luttes depuis trois décennies, l'aide à balancer le corps dans la cage d'ascenseur d'un immeuble en partie abandonné. Le mort devient vite une angoisse pour les deux femmes qui se savent dans le collimateur de la police pour bien d'autres choses. C'était qui, se demande Molly ? Un rapport avec l'incendie de l'agence bancaire auquel a participé Hella ? Ou alors avec son passé ? Les deux amies doutent de leur sincérité respective ? Qui va balancer l'autre ? Pendant ce temps il faut se battre justement pour cet immeuble où résistent d'authentiques vieux londoniens mis sous pression par les promoteurs.
Le sujet est fort, bien mené, autour de l'expansion immobilière de Londres. Le lecteur sent ses tours de vingt étages tout en baies vitrées et chrome s'élever au-dessus de la Tamise au détriment des anciens bâtiments. Le lecteur sent surtout la peur de ces Londoniens incapables de se reloger dans ces nouvelles conditions. "Je sais qu'on peut être heureux en dehors de Londres, je ne suis pas snob à ce point. Mais je ne m'y vois pas. Me retrouver brusquement seule, devoir tout recommencer à zéro, se faire de nouveaux amis, de nouvelles connaissances, petit à petit, à partir de rien. Cela m'épuise rien que d'y penser. Quand on est jeune, c'est plus facile. L'alcool aidant, et les drogues, et le sexe. Tout ça fait un terrain d'entente commun. Mais que peut faire une femme de soixante ans, toute seule, quand elle arrive dans un endroit où elle ce connaît personne ? S'inscrire à un club de lecture, en espérant y faire des rencontres ? Une chorale ?..." Il y a un fond politique évident, social surtout puisque c'est une page d'histoire d'une ville (vieille de 2000 ans) qui se tourne avec fracas, mais cela sert une intrigue qui, finalement, n'est pas qu'un simple prétexte. Non, il y a une tension, de la paranoia, dans un univers de luttes sociales où le plus important est d'avancer masqué. Les deux personnages de Molly et Hella, se partageant la narration, sont bien tournés et, là aussi, Eva Dolan assume son parti pris de mettre les femmes au coeur de la fiction. Rien de revendicatif mais une forme d'évidence. L'auteure, au passage, nous rafraîchit la mémoire sur l'implication des Britanniques et des Galloises d'ailleurs, dans les combats sociaux, que ce soit lors des grèves des mineurs ou lors des moins connues, peace camp, comme à Greenham Common, siège qui a duré une vingtaine d'années, devant une base de la Royal air force pour protester contre l'installation de têtes nucléaires...
Alors Eva Dolan n'est peut-être pas le nouveau David Peace mais son honnêteté, sa franchise, et la qualité de ses histoires en font plus que jamais la relève du polar grand breton.

Les oubliés de Londres (This is how it ends, trad. Lise Garond), 389 pages, 20 euros
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C
Exactement... et dans cette relève, j'ajouterai Benjamin Myers dont le second polar traduit (Noir comme le jour) confirme tout le bien qu'on pensait de lui...
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