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The killer inside me

Littérature noire

Or, encens et poussière : Soneri au bord de l'abîme

En 1848, Kierkegaard écrit Le traité du désespoir. En 2007, Valerio Varesi, auteur d'une thèse sur le philosophe danois, écrit son propre désespoir dans Or, encens et poussière, sorti dans l'hexagone cette semaine. Ce désespoir, c'est celui de Soneri, commissaire d'un autre temps, qui se retrouve devant le cadavre, brûlé, d'une jeune roumaine dont l'autopsie révèle qu'elle était enceinte. Une fille qui a quitté son pays pour tenter de faire sa vie à Parme, une beauté qui rêvait d'un nouveau départ. Comment a-t-elle pu terminer ainsi, sur le talus d'une autoroute, à quelques centaines de mètres d'un camp de roms, au milieu de nulle part. Mais le désespoir, pour Soneri, c'est aussi d'apprendre qu'Angela, sa compagne, tombe sous le charme d'un autre homme, qui semble la faire de nouveau sentir femme...
Pour cette cinquième enquête du plus grand flic parmesan, Valerio Varesi fait volontiers appel à sa discipline universitaire, la philosophie. A la faveur de repas improbables avec Sbarazza, un ancien noble devenu mendiant dans les meilleurs restaurants de la cité, Soneri disserte, développant son existentialisme, et ses doutes sur les valeurs du Christ. "Soit vous avez la foi et, pour vous tout ce qui existe en ce bas monde n'est que momentané et de peu d'importance; soit vous ne l'avez pas et vous en arrivez aux mêmes conclusions, car rien ne peut avoir le moindre sens..." Ces pages-là sont d'une belle intelligence, avec un brin de naïveté, comme le fait d'ailleurs un moment remarquer Angela à Soneri, mais écarte un instant, dans une parenthèse appréciable, le tumulte crasseux  de l'enquête. Car une nouvelle fois, le commissaire est confronté à des hommes, et des femmes, de piêtre conscience, les uns attachés à la satisfaction de leurs désirs, les unes soucieuses de la bonne marche de leurs affaires. Or, encens et poussière porte merveilleusement son titre, renvoyant à la condition humaine, à la vanité des Hommes. On retient dans ce nouveau roman une scène d'ouverture apocalyptique, toujours dans ce brouillard de la vallée du Pô, une bienveillance pour ces Roms forcés de vivre dans les conditions que l'on sait et puis cet amour infini de sa ville de Parme.
Bien dans la lignée de Simenon, avec un fort taux de scepticisme mais sans cynisme, l'auteur creuse ce sillon d'un polar à la fois classique et très politique, où le Mal réside dans une société qui broit les faibles comme les rêveurs. Si la structure est connue, si Soneri représente une sorte de rempart évident, la fin réserve son lot de contre-pieds.
Littérature populaire de haut niveau, la série Soneri soigne autant ses intrigues que sa réflexion sur le monde, dans un style décalé, volontairement suranné, presque anachronique. C'est aussi ce qui fait une partie du charme.

Or, encens et poussière (Oro, incenso e polvere, trad. Florence Rigollet), ed. Rigollet, 298 pages, 21, 50 euros
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