14 Août 2020
"Martha Whoopley, un boudin quadragénaire, informe et fade, dont le visage évoquait un plat de pâtes réchauffé, dont la personnalité avait le zeste d'un tampon hydrophile, et dont la fortune personnelle s'élevait à quelques onze millions de dollars".
Quatrième aventure de John Dortmunder, Personne n'est parfait (parue en 77) est une nouvelle succession de déconvenues, malchances et coups tordus pour le plus ingénieux des cambrioleurs de New-York. Cette fois, c'est Arnold Chauncey, un aristocrate à la fortune déclinante, qui engage Dortmunder pour voler, chez lui, un tableau de peintre flamand estimé à 400 000 dollars et ainsi encaisser l'assurance, tout en récupérant, plus tard, la toile. Tout semble sous contrôle dans ce casse : Chefwick et Murch viennent renforcer l'équipe, avec Tiny Bulcher, gigantesque tas de muscles, si impressionnant qu'après un simple haussement d'épaules, "les aiguilles de tous les sismographes de l'hémisphère nord oscillèrent". Et puis il y a Andy Kelp qui s'incruste, le vieil ami, véritable chat noir. Dortmunder, au départ, n'en veut pas. Mais à force de jérémiades et parce qu'il est un chef au bon coeur, Kelp fait le cinquème. Le cambriolage doit se faire nuitamment, dans l'immense hôtel particulier de Chauncey qui organise ce soir-là, au rez-de-chaussée, une soirée mondaine. Evidemment, ça foire. Des gardes privés sont sur place, une invitée se balade dans les étages, Dortmunder est coincé dans la cage d'ascenseur et la fameuse toile, bien dérobée, est aussitôt perdue dans une baston...
Personne n'est parfait n'est sans doute pas un chef d'oeuvre du roman noir mais pris dans la masse du genre, dans l'histoire du polar, cela reste un très bon Westlake. Bien sûr, les rebondissements énormes peuvent épuiser le lecteur trop cartésien mais c'est la loi de Dortmunder d'accumuler les coups du sort. Et finalement, la vraie jubilation elle est dans la description de ces aristocraties mourantes, que ce soit Chauncey à New-York ou MadDough à Londres. Des notables au bout du rouleau qui en viennent à solliciter l'aide des crapules pour se refaire une santé financière. Et il y a toujours ces descriptions assassines de personnages secondaires, des portraits à la flamme, gentiment méchants. Tout l'humour, et aussi le sel, de cette série se niche là, au détour de ces détails acides, de ces observations piquantes. Dans un entretien accordé à François Guérif en janvier 1982 pour la revue Polar, Donald Westlake disait " je m'amuse comme vous pouvez vous amuser à regarder quelqu'un qui fait des tours d'adresse." C'est pas faux : on prend du plaisir à voir l'auteur né à Brooklyn, jouer avec les mots, construire et déconstruire son intrigue, tordre la morale. C'est de l'entertainment de haute qualité.
Personne n'est parfait (Nobody's perfect, trad. Henri Collard), ed. Rivages, "Encore raté, avec aussi Pierre qui roule et Dégât des eaux", 1261 pages, 24, 90 euros.