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The killer inside me

Littérature noire

De nos ombres : poésie solaire et noirs secrets

Entrelacer une sombre histoire de famille et le don d'un enfant, mêler l'histoire de la Corse contemporaine avec la Seconde Guerre Mondiale, parler autant d'une Corse fulgurante de beauté que de ses femmes meurtries... avec De nos ombres, Jean-Marc Graziani parvient à tisser un roman de littérature blanche, à peine arrosé de fantastique. Car oui, il faut croire pour entrer dans cette histoire. Croire que tout n'est pas cartésien. Croire que certains destins sont hors norme. Il y a au fond de chacun, cette petite flamme qui a jailli un jour devant l'inexplicable, ce moment où l'on a accepté d'être moins terre à terre. Graziani sait très bien attiser ce feu avec son Joseph. Gamin merveilleux, presque solaire dirait-on sauf que non. Son don, ses voix qui le guident vers d'étranges secrets lui donnent un côté bien plus sombre. Mais pas noir. Pas complètement.
Joseph sort de l'enfance et, en 1954, il a pour univers, son quartier de St Joseph, à l'entrée de Bastia et sa plage de Ficaghjola, petit paradis sous les remparts de la Citadelle. Au sein d'une famille nombreuse, il trouve la paix avec Françoise, son arrière-grand-mère. La paix et la compréhension. Elle sait ce qu'est son don. Ni un cadeau, ni une malédiction. Un outil. A manier avec précaution. Joseph va d'abord retrouver un anneau de famille perdu depuis des décennies. Puis, une lettre envoyée dans un disque pendant la Guerre.  Il va ainsi croiser les histoires de plusieurs femmes, souvent mortes dans des conditions terribles, d'une grippe, d'un accouchement, d'autres, comme Lucia, encore vivante, mais tout juste. D'une femme à l'autre, comme un ricochet, le jeune Bastiais va faire face à son histoire, l'histoire de sa famille, de son foyer.
L'auteur, pour ce premier roman, a eu cette magie entre les mains, d'écrire une histoire dure avec une poésie rare. La poésie des personnages, tous beaux, forts, sincères, au premier rang desquels, Mammo, cette arrière-grand-mère incroyable, tendre et solide, gardienne de mille et un secrets. Et puis bien sûr, il y a la poésie de la Corse, pas dans le sens carte postale, plutôt dans une vision organique, faite de sensations fortes comme cette épicerie de bord de route, "elle pousse la porte et un carillon se fait entendre : le pépiement de petits papillons métalliques. L'intérieur est coquet, joliment agencé, chaque pot de confiture parfaitement aligné dans de grandes armoires de famille dont on a retiré les portes et affublées de petits rideaux colorés. Il me semble avancer dans une maison de poupée quand l'odeur vient me cueillir : celle du pain frais, de la farine cuite qui flotte dans l'air, du fromage qui transpire sous la cloche, du jambon à moitié coupé qui trône sur la trancheuse, des olives qui macèrent dans leur bain au fond du tonnelet. Une multitude d'odeurs qui n'en font qu'une : celle, inoubliable, de la légitime gourmandise, de l'appétit matutinal."
De nos ombres parvient à surprendre le lecteur et ce n'est pas la moindre de ses qualités. Ni folklorique donc, ni fantastique, pas noir non plus, le roman flotte au gré de divers courants profonds mais on sent aussi l'amour profond de l'auteur pour les mots, leurs sons. Une des bonnes surprises de cette rentrée.

De nos ombres, ed. Joelle Losfeld, 190 pages, 18 euros.
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