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The killer inside me

Littérature noire

Quatre filles disparues dans la campagne coréenne

Musun, 20 ans, s'ennuie à mourir à "Duwang-Ri, canton de Sannae, province de Chungcheong du Sud, en Corée du Sud." Elle, la fille de Séoul, a été laissée là par ses parents pour les vacances d'été et pour éviter à sa grand-mère, tout juste veuve, de rester seule. C'est l'affaire de deux mois. Mais la grand-mère n'est pas impotente, loin de là. Tous les matins - et même vers 10 heures, elle bourre de petits coups de pied les côtes de sa petite fille pour lui demander de se lever, lui reprocher de traîner. Alors qu'elle, paysanne, va s'occuper de ses radis, ses patates douces, son soja... Musun fouille dans les livres de la maison, retombe sur un de ses dessins d'enfants indiquant un "trésor". En suivant le plan, elle déterre une boîte contenant différents objets. Et voilà qu'elle plonge dans cette affaire, vieille de quinze ans : la disparition de quatre jeunes filles le même jour, dans ce village. Disparitions jamais résolues, jamais expliquées. Avec l'héritier des Yu, beau gamin ombrageux de la famille des seigneurs locaux, mais aussi avec son acariâtre grand-mère, Musun va tenter de retrouver la trace de chacune des disparues. Dans un village coréen où les traditions sont encore puissantes, où le poids des convenances est énorme. Et le silence, le maître-mot.

Joli polar rural de Park Yeon-Son avec ce Eté, quelque part, des cadavres. Forcément très déstabilisant. Pas tellement par la géographie ou le décalage horaire, puisque, finalement, les campagnes, sans se ressembler, gardent toutes des aspects similaires, du Chili, à la Corée, en passant par les Cévennes. C'est un peu rustre, mutique et, toujours, plus fin qu'il n'y paraît. Non ce qui est déstabilisant, et rafraîchissant, c'est le parti pris de l'auteur : une enquête confiée à une jeune fille, un brin prétentieuse, pimbèche ("à mi-chemon entre redoubante et fainéante, obligée de rire en premier pour ne pas laisser paraître sa médiocrité et son impuissance"). Mais adorable. Zéro policier en vue. Zéro violence. Rien de très noir dans Eté, quelque part, des cadavres, il s'agit presque d'une étude sociologique des rouages de la Corée. Bien sûr il y a crime. Et crime dégueulasse. Mais Park Yeon-Son donne surtout à découvrir un monde, à mille lieux des clichés sur ce pays, loin du high tech, des buildings, de cette pression que ce peuple s'impose pour réussir. Non, à Duwang-Ri, on s'occupe de la terre, on s'inquiète de son voisin - même sans rien montrer, on vit en communauté. Eté, quelque part, des cadavres est par ailleurs bourré d'humour, basé sur le contraste entre la vieille paysanne et son urbaine de petite-fille.

Dans le paysage du polar asiatique, c'est un roman qui dénote, qui prend le contre-pied. Sur le principe de raconter quatre trajectoires de jeunes filles, Park Yeon-Son embrasse les contradictions de son pays, les difficultés des jeunes pour s'y réaliser et cette quête, évidemment, d'identité. Remarquable.

Eté, quelque part, des cadavres (trad. Lim Yeong-hee et Mathilde Colo), ed. Matin Calme, 326 pages, 20, 90 euros.

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