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The killer inside me

Littérature noire

L'ange déchu : Brookmyre, ce grand peintre des femmes fortes

Max Temple vient de casser sa pipe. Le prestigieux professeur de psychologie écossais, connu pour son combat contre les thèses complotistes, laisse une veuve, Célia, ex star sexy du cinéma des années 60, un fils, Rory et deux filles, Marion et Sylvie. Enfin, plutôt Ivy, depuis qu'elle a pris son indépendance. Tous les quatre vont se retrouver au Portugal, avec compagnon et enfants pour Marion, histoire de disperser les Augustes cendres là où la famille aimait se ressourcer. Mais c'est aussi dans cette petite propriété de l'Algarve, à 20 mètres de l'Océan qu'il y a seize ans Sylvie a perdu sa fille, Niamh, bébé de quelques mois...  "Des générations qui se réunissaient si souvent, qui étaient si proches, si étroitement liées. C'est seulement après cette matinée que ce qui avait autrefois formé un tout avait commencé à se fracturer".  Les tensions dans la famille sont extrêmes. Et pas seulement liées au caractère dur de Sylvie ou à cette folie de Célia de vouloir absolument donner l'image d'une famille parfaite. Il y a autre chose, de souterrain, un non-dit qui traîne depuis trop longtemps et qui va exploser. Peut-être à la faveur de la venue des voisins, amis de vacances depuis de nombreuses années...

Faisons bref : Chris Brookmyre a peut-être écrit là son meilleur bouquin. Sous un titre un peu cucul, un peu trompeur aussi, L'ange déchu, l'auteur de Petit bréviaire du braqueur dissèque une famille comme aucun légiste ne pourrait le faire. C'est fouillé, c'est riche, c'est inventif, sans tomber dans le grand n'importe quoi. Le père, absent forcément, et son image de calme chercheur, heureux de connaître la gloire à l'issue d'une émission télé. La mère, elle, ex-égérie  du grand et du petit écran, connue plus pour son corps que pour ses répliques shakespeariennes, un peu religieuse, un peu alcoolo et beaucoup allumeuse. Rory, vilain petit canard, fumeur de joints dans sa jeunesse, en couple avec une Ukrainienne affolante. Marion, instit rondelette, tampon des conflits familiaux. Et puis Sylvie-Ivy, volcanique jamais la langue dans sa poche, détentrice d'un sale secret (et qui n'est pas sans rappeler la Diane Jager de Sombre avec moi ). Joyeuse bande à laquelle il faut ajouter un ou deux bébés et surtout, Amanda, la nounou canadienne des voisins, élevée par ses deux pères. Cela peut paraître beaucoup mais les profils psy sont très bien campés par Brookmyre, c'est ajusté au pied à coulisse et tout cela s'imbrique parfaitement comme au niveau 35 de Tetris. Le face à face de Sylvie avec sa mère est grandiose, les reproches muets pleuvant sur les deux, les phrases assassines succédant aux regards froids. Du bel ouvrage de dentelle.

Parce que, pour tout dire, les histoires de famille, c'est souvent mortellement ennuyeux, convenu, spécialement lorsque c'est écrit par des Français, avouons-le. Mais là. Là... L'auteur écossais use d'un aller-retour simple entre 2002 et 2018 pour faire progresser sa narration. Il change aussi de sujet, alternant Amanda, Célia, Ivy, Marion, Vince (le voisin)... Visions modernes, narration maline et subtile, parce que petit à petit, évidemment les différents récits vont se rejoindre, se superposer, un protagoniste prenant la suite de la scène vécue par un autre et ainsi de suite. D'accord le procédé n'est pas révolutionnaire. Mais il est ici réglé au millimètre !

Et, bonbon pour les amateurs de Brookmyre, L'ange déchu fait une toute petite place à Jack "finest loser" Parlabane, journaliste et héros récurrent, souvent malheureux, dans l'oeuvre de l'Ecossais.

Polar psychologique, très tendu, fourmillant de contre-pieds, ce nouvel opus confirme que Chris Brookmyre est une terrible plume du polar britannique. Pas seulement écossais. L'homme se bonifie et continue d'offrir, depuis Angélique de Xavia dans Petite bombe noire, des personnages féminins splendides.

L'ange déchu (Fallen angel, trad.Céline Schwaller), ed. Métailié, 375 pages, 22 euros.
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