Littérature noire
10 Mai 2021
Red Bluff, une petite ville du Mississippi à l'écart des grands axes routiers. Avec une vallée engloutie par le kudzu, cette vigne ornementale invasive déclarée nuisible au Canada et dans le sud-est des Etats-Unis. Pas de quoi s'éclater dans ce bourg, juste un bar avec son billard et ses habitants qui rongent le frein de leurs vies gâchées.
On est en 1976. L'homme, la femme et le garçon sont lâchés par leur Cadillac toute pourrie. Sur un parking de Red Bluff. Pour se cacher de la population et du shérif Myer, ils vont se réfugier sous les arbres, vivant des restes de poubelles, de mendicité. Un trio à la limite de la démence, plus que marginal, où la violence de l'homme est toujours en suspens. C'est à ce moment que débarque Colburn. Red Bluff c'est le patelin où il a grandi jusqu'au suicide de son père, il y a vingt ans. Un père qui ne l'a jamais aimé, jamais désiré. Lui-même n'est pas accueilli par des brassées de fleurs. Hormis Celia, la gérante du bar. L'atmosphère pesante, hostile, doit beaucoup à cette vigne grimpante mystérieuse, inquiétante. Tout devient explosif quand des jumeaux disparaissent. Colburn est le dernier à les avoir vus vivants...
Michael Farris Smith fait rarement dans la gaudriole mais là, avec Blackwood, il atteint de sommets de noirceur, de gêne, de situations malsaines. Et de psychopathie. Si l'homme est un dégénéré complet, capable du pire, Colburn a lui aussi ses névroses. Cette scène dans la maison abandonnée sous le kudzu est un sacré moment de bizarreries dérangeantes. Mais c'est un classique chez l'auteur. Depuis Une pluie sans fin, en 2015, l'auteur du Tennessee pousse ses personnages à bout, les place dans des situations intenables. Tel Russell dans Nulle part sur le Terre, revenu dans sa petite ville après onze ans derrière les barreaux... Ici Blackwood suinte de l'influence néfaste de cette plante invasive, vénéneuse tout comme le roman transpire le mal-être des hommes, leurs folies. Un roman parfaitement tourné sur les petites vies de ces petits lieux perdus. Cela a déjà été écrit évidemment mais Farris Smith y ajoute une dose de menace végétale inédite. Et ce qui est étonnant avec cet auteur, c'est cette capacité à rebondir. Après un premier roman très moyen, il avait rebondi avec Nulle part sur la Terre, avant de décevoir pour Le pays des oubliés. Et là, le revoilà en grande forme. Dans un pur style de gothique sudiste.
Blackwood (trad. Fabrice Pointeau), ed. Sonatine, 282 pages, 21 euros