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The killer inside me

Littérature noire

Un colosse : l'histoire vraie du paysan devenu lutteur

Le roman noir social de côté pour cette occasion, Pascal Dessaint se met au conte historique à travers Un colosse. Et avec une certaine aisance, il faut le reconnaître. L'auteur du Bal des frelons, c'est vrai, n'est pas non plus un nouveau venu, il a la technique, il a le sens de la narration et quand il s'empare d'une histoire, normalement ça ronronne comme il se doit. Ici, il s'est donc intéressé à un personnage réel, Jean-Pierre Mazas, né en 1847, mort en 1901. Vous ne connaissez pas ce monsieur ? Ne vous sentez pas seul, il n'a rien inventé, il n'a pas révolutionné le code pénal, pas sauvé l'humanité grâce à un médicament, pas plus qu'il n'a gravi un incroyable sommet de l'Himalaya... non, Jean-Pierre Mazas était un géant du sud-ouest de la France. Mais un vrai géant ! 2 m 20. A l'époque, cela ne pouvait passer inaperçu. Redoutable derrière le soc de sa charrue, plus rapide qu'aucun autre agriculteur pour tracer son sillon, Jean-Pierre Mazas se fait évidemment remarquer pour sa force herculéenne : "du sol il sort la racine d'un chêne comme on arrache une dent de lait. Le vieux meunier ne sait comment vider sa charrette. Son commis est souffrant. Qu'à cela ne tienne ! Les sac de farine font 100 kilos mais, un sac sous chaque bras, en peu de temps la grange est pleine..." Pas commun.

Mais en cette grande époque des foires, des marchés et des débuts des sports de combat, fatalement, un jour, une troupe de lutteurs arrive au village et Mazas s'extrait de la foule pour monter sur un ring improvisé. Il gagne évidemment. Et c'est ici le début d'une autre histoire. D'une forme de gloire, pour cet être quasi difforme, parlant un français approximatif, vivant sur les terres d'un riche propriétaire. Il va enchaîner les combats contre des noms toujours clinquants, Le-taureau-de-la-Camargue,  L'Ours-des-Pyrénées, L'indomptable-Arlésien, Le-rempart-de-Bayonne... Le géant va faire parler ses muscles et l'incroyable envergure de ses bras pour gagner ces combats de lutte qui, malgré tout, demeurent corrects, loin des premières heures sanglantes de la boxe anglaise par exemple. De sa campagne, Mazas va découvrir, grâce au train, luxe impensable, Toulouse puis Paris. Avant l'accident. Plus de combats alors, juste une exhibition. pour quelques pièces, quelques regards malsains.

En une centaine de pages, Pascal Dessaint raconte son enquête, ses voyages pour découvrir les lieux où a vécu le géant, où il s'est marié, où il est mort. Le nom de Jean-Pierre Mazas est encore connu, murmuré dans certains coins du Tarn et l'auteur veut en quelque sorte lui rendre un hommage. Lui, l'homme trop grand, trop fort, mais qui resta un métayer, un paysan, au final endetté jusqu'au cou. Et puis il y a cette déchéance, cette vie de vagabond dans une caravane pour montrer son corps devenu objet de voyeurisme. C'est aussi, on l'a oublié, l'époque des freaks, des cirques avec femme à barbe et tout le reste (à lire, le passionnant La Fabrique des monstres, de Robert Bogdan, ed. Alma). Pascal Dessaint réussit son pas de côté, en conservant son désir de donner une voix aux marginaux, aux différents. Réunissant une belle somme biographique, Un colosse remet en lumière une époque, une vie rurale mais aussi une société du spectacle naissante. Les dernières lignes sur l'étude médicale dont fut l'objet ce géant en fin de vie sont presque déchirantes. Un plaisir rustique et musclé.

Un colosse, ed. Rivages, 127 pages 16 euros
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