Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

" Je ne veux pas entrer dans une posture "

C'est peu de dire que la présence de Séverine Chevalier a été un enchantement lors de la 6e édition de Libri Mondi à Bastia. La romancière s'est montrée avide d'échanges, très drôle, d'une belle sincérité. Sa rencontre, le dimanche, a été un succès total. 

Jeannette et le crocodile, votre dernier roman, est-il, après Les mauvaises, une nouvelle illustration des rêves d’enfant qui se fracassent sur le monde des adultes ?

Ce n’est pas une intention de départ. Mais il y a de cela. Et je pense que c’est constitutif de l’être humain, pas que de l’enfant. Ces choses projetées, fantasmées, derrière lesquelles on court et qui, pas tout le temps heureusement, font l’objet de déceptions dans la vie lorsque l’on grandit. Dans L’éducation sentimentale de Flaubert, le seul truc dont se rappelle Frédéric Moreau c’est la fois où il a essayé d’aller au bordel avec son copain, ils avaient acheté des fleurs pour offrir aux filles et ils n’ont jamais réussi à y entrer… Ado, j’adorais ces récits où l’on parlait de ce qui restait d’une vie, les espoirs déçus. Cela m’est resté. Et puis dans le monde des adultes, il y a quelque chose de faux, une hypocrisie sociale, des choses que l’on se raconte juste pour supporter la vie. De manière générale, les enfants ont une perception différente et sentent cela, même s’ils n’ont pas les mots, parce qu’ils ont un rapport direct au monde. Dans mon écriture c’est ce que j’aimerai retrouver, saisir. C’est pour cette raison qu’il y a une récurrence, dans mes romans, des enfants ou des gens différents.

Est-ce que Jeannette est une cousine ou une suite logique de La Roberto des Mauvaises ?

Ces personnages qui ont une forme d’innocence m’intéressent. Cela permet un regard neuf et pas perverti par tous les maux de la société. Je ne m’en étais pas rendu compte mais sur mes quatre livres, il y en a tout de même trois où des enfants, des adolescents meurent ! Et chaque fois, ces personnages féminins voudraient que les choses changent, elles essayent de s’en sortir et de provoquer des changements dans le rapport des adultes avec ce qu’elles voient du monde. Mais ça ne marche pas.

L’enfance et l’adolescence, pour vous, sont des moments fabuleux ou terribles ?

Les deux. Ceux qui écrivent, même dans la fiction pure, écrivent à partir de leur propre histoire. J’ai l’impression d’essayer d’écrire pour tenter d’élucider la question que vous posez… chez moi l’interdit d’écrire, que j’éprouvais avant, vient du silence qui était la norme dans ma famille. Donc oser écrire, pour moi, c’est une transgression. Dans mon écriture il est question de la violence et de la violence cachée. Les violences intra familiales sont les violences majeures. Je n’ai pas de fascination pour la violence et dans Jeannette c’est ce qui me poussait, avec une jeune fille qui n’est pas spécialement intéressante. Mais je ne veux pas me positionner en surplomb de mes personnages, ni hiérarchie, ni mépris.

On lit une vraie conscience de la nature dans vos romans, sans pourtant faire de militantisme. L’exercice est difficile ?

J’ai résidé en ville jusqu’en 2015. Petite, j’ai beaucoup lu les Américains et Jack London, tous les romans de grands espaces. J’avais une fascination mais peu concrète, parce que lorsque j’habitais Lyon, je vivais du côté de Perrache et j’appréciais aussi ce côté cradingue de la ville. Quand je suis arrivée en Auvergne, c’était un choc, ce sentiment d’êtres vivants parmi d’autres êtres vivants, les arbres, les animaux sauvages que je n’avais jamais vus avant ce déménagement. On s’est installés dans un petit hameau, on passe un temps fou dans la nature et on a trouvé notre place. Après côté militantisme, je n’ai pas du tout envie de délivrer des messages ou d’écrire quoi penser aux lecteurs. J’essaye plutôt d’éclaircir ce que je pense moi-même quand j’écris. Après, même si on n’est pas dans une littérature engagée comme Sartre, par les choix que l’on fait, on est un peu engagé. Mais je ne veux pas entrer dans une posture.

La ruralité que vous écrivez, n’est-elle pas pervertie par les hommes ?

Le mot de ruralité est assez moche. Mais comme les banlieues c’est un lieu relégué en termes de services publics, de transports. Des lieux que l’on conspue, où l’on trouve des pauvres. J’essaye d’être juste. Dans une grande ville, cela peut paraître dilué, mais dans un village on retrouve les mêmes individualités, les mêmes troubles, la même humanité et c’est ce qui est intéressant. Le précepte qui veut que l’on puisse tous potentiellement faire le bien ou le mal, j’en ai eu un peu marre dans Jeannette et du coup j’ai fait un personnage, le beau-père, pour lequel on ne peut pas avoir d’empathie. Je n’ai pas voulu que le lecteur entre dans sa tête : c’est un sale type, point.

Concernant votre écriture, il y a une liberté mais aussi des structures chronologiques qui vous sont propres. Comment construisez-vous vos romans ?

Pour chaque texte, il y a un processus, sans recette. Chaque texte appelle, il me semble, une forme singulière qui reste à trouver, je ne l’ai pas d’entrée de jeu. Pour Clouer l’ouest, j’avais vu ce western de Corbucci, Le grand silence, avec Trintignant et Klaus Kinski, entièrement sous la neige. Pour Les mauvaises, j’habite pas loin de ce viaduc qui est dans le livre et la première fois que je m’y suis promenée, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu cette image de jeune fille pendue. Après il faut commencer à écrire, voir comment ça se goupille, articuler les éléments et affronter les problèmes. Par exemple avant Les mauvaises, je pensais que je n’écrirais jamais au passé simple, je trouvais que c’était un temps mort, pour les romans du XIXe. Ce roman, je ne parvenais plus à le finir et j’ai pris un carnet, en écrivant à la ligne, sans un désir de poésie, mais des notes, et puis, pourquoi pas ? Ce n’est pas vraiment de l’inspiration, c’est plutôt un déclic et comme le roman est un genre qui peut englober de nombreuses formes. Dans Jeannette, j’ai introduit des articles qui attaquaient Greta Thunberg. C’est du réel. Sur la construction de mes romans, je pense au slogan de Paris Match, « Le poids des mots, le choc des photos ». Le poids des mots, j’y crois. Je cherche beaucoup. Et d’ailleurs depuis plusieurs années, il y a un texte plutôt autobiographique, dont j’ai le titre, que j’essaye de finir et je n’y arrive toujours pas. Jeannette était d’ailleurs un roman de diversion. Je vais aussi sans doute participer à la collection Gore des Alpes, un truc un peu fou, édité en Suisse !

Faulkner disait que « la littérature ne sert pas à mieux voir mais seulement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre ». Vous êtes d’accord ?

C’est drôle, je viens de relire Lettre du voyant de Rimbaud avec cette notion d’aller vers l’inconnu. Cette phrase de Faulkner me fait penser à une analogie un peu triviale, quand quelqu’un vous plaît et que vous allez faire des trucs pour le ou la séduire, alors qu’en fait, plus vous allez au plus profond de ce que vous êtes et plus il y a de chance que cette personne s’intéresse à vous. L’écriture, c’est comme ça, plus on creuse son ombre, plus on va vers ce que l’on comprend du monde, même si ça fait peur, et plus surgira quelque
chose d’intéressant.

Dire que vous êtes une autrice inclassable, c’est faux, c’est gênant ?

J’aimerais bien en fait. En tant que grosse lectrice, je lis de tout, donc inclassable ça n’est pas dérangeant. Et je lis comme j’écris, je cherche, je veux découvrir, comprendre, pour déplacer mon regard, être bouleversée. Est-ce que je fais du roman social ?.. nous sommes tous des êtres sociaux. Est-ce parce que mes histoires se déroulent hors de Paris que c’est du roman social ?

Vous êtes sans doute l’autrice la plus discrète : rare dans les médias, rare dans les festivals. Préférez-vous l’ombre ?

Disons que j’aime depuis longtemps raser les murs. Cela me va très bien. Ce qui m’importe c’est d’écrire mais paradoxalement j’avoue que c’est passionnant de rencontrer du monde et parler de livres. La vérité, c’est que je n’aime pas les postures d’écrivain. Et puis, je ne suis pas non plus une star de la littérature. Un seul lecteur me suffirait. S’il n’y en avait pas, cela ne m’empêcherait pas d’écrire. La question de la reconnaissance m’est assez étrangère, je n’ai pas d’ego.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article