Tu sais qui : flippante intrigue sur fond de hacking

Faut être solide pour se lancer dans l'écriture d'un polar autour du numérique, du hacking, du codage. Les lecteurs ont en tête le personnage de Lisbeth Salander (Millénium) mais les romans qui abordent frontalement le sujet sont assez rares. Au débotté, il y a eu ces dernières années Un trou dans la toile de Luc Chomarat, Les ombres de la toile, de Chris Brookmyre... pour tout dire, ce n'est pas un sujet a priori très dynamique, très sexy. Ou bien les lecteurs de littérature noire sont d'indécrottables conservateurs. Et pour le coup, Jakub Szamalek réussit le challenge avec Tu sais qui. Oui, le roman est rythmé, malsain, violent et malgré quelques pages d'explications techniques, l'auteur s'en sort plus que bien, parvenant à ne pas noyer l'intrigue.
Julita Wojcicka est une jeune diplômée d'école de journalisme qui travaille pour le site d'info à sensation Meganews. Il ne s'agit pas de faire du social ou du culturel mais bien des clicks. Plutôt douée, sa rédactrice en chef lui confie la dépêche sur une exclu : la mort dans un accident de le route de Ryszard Buczek, vedette télé d'une émission pour enfants dans les années 80. L'info fait un carton sur le net et Julita décide d'en faire une suite le lendemain. En interrogeant le principal témoin de l'accident, elle se rend compte que Buczek s'est peut-être suicidé. Quelque chose ne colle pas. Elle fouille. Et met le doigt sur un système de piratage de l'ordinateur de bord de la Jeep de Buczek. C'est là qu'un internaute anonyme prend possession de son propre PC et lui ordonne de stopper son enquête. Un peu trop sûre d'elle, Julita refuse. Les ordis de la rédaction de Meganews tombe tous en carafe et les imprimantes recrachent une vieille photo de la jeune journaliste, à moitié nue. Image qui se retrouve aussi bien vite sur les réseaux. Humiliée, acculée, Julita est renvoyée de Meganews et va chercher de l'aide auprès d'un vrai pro d'internet. Au même moment, un procureur de Varsovie va contacter des collègues en Australie, un prêtre polonais succombe à une dialyse.
Tu sais qui coche toutes les cases du bon polar : personnages forts, scènes tendues, retournements et, toujours, un vrai effort de réalisme. Pas de serial killer ici, même s'il s'agit d'une enquête qui déborde sur l'international, mais on reste tout de même dans le fait divers bien dégueulasse. Et donc, toutes ces informations sur la protection des données, le piratage, le darknet alimentent l'histoire et donnent une touche très sombre au roman, le sentiment d'un monde surveillé, contrôlé. Ce qu'il est, plus ou moins. Szamalek parvient à faire prendre conscience au lecteur des dérives du tout internet et des enjeux de démocratie. Cela dans une ville de Varsovie aux incroyables nuances de gris. Réussi.

Tu sais qui (Cokolwiek wybierzesz, trad. Kamil Barbaski) ed. Métailié, 459 pages, 22, 90 euros