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The killer inside me

Littérature noire

Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués : beau et cruel

Victor Blainville, la quarantaine burinée, sort de trois ans de captivité, otage lors d'un reportage en lointaine zone de conflit. En cet automne 1989, i vient d'être libéré avec Alex Kantz, son compagnon d'infortune pendant ces mille et quelques jours. Rentré à Paris, le poids de l'expérience est encore vif quand Alex meurt étrangement dans un accident de voiture au moment même où il devait lui faire une révélation. Et voilà, un flic, Laurent, qui se met à le coller gentiment. Alors que le Mur de Berlin s'effondre, lui, l'ancien photographe de presse console son blues avec Gail l'ancienne maîtresse d'Alex. Elle lui confie le journal du père d'Alex, des pages qui retranscrivent le quotidien d'un ouvrier typo en 1938, entre les trotskiste chassés par les sbires de Staline et les surréalistes, dont Breton, qui investissent le champ artistique. Victor, entre deux sorties labyrinthiques dans Paris, se plonge dans ce carnet. Avec Solveig, journaliste, d'origine tchécoslovaque, venue l'interviewer.
Politique, historique, poétique aussi, Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués emprunte son titre à Natalia Sedova, la seconde femme de Trotski, qui parlait ainsi de tous les camarades perdus face aux stalinistes. Le roman de Jean-François Vilar est d'une ampleur folle, quête individuelle, spirituelle d'un homme confronté à la mort et à la violence et regard sans complaisance sur la naissance d'un monde, en 1938, et sa chute, en 1989. Le parallèle historique et politique est passionnant, foisonnant et il est proposé par un auteur qui a été militant trotskiste, aux cotés de Thierry Jonquet, son ami, mais aussi Edwy Plenel, à l'époque du journal Rouge. Vilar connaît bien son affaire et on sent poindre dans ses 500 pages, la douleur d'une lutte inachevée, pervertie. Il y a notamment cette scène, dans Prague libérée en 89, lorsqu'un militant de son âge, lui montre une photo de mai 68 à Paris et lui explique à quel point, si le mouvement révolutionnaire français était inspirant, les idées communistes avaient chez eux, une toute autre résonnance...
Vilar se garde de jouer les vieux briscards de l'engagement. Son roman est d'une toute autre hauteur, offrant aux lecteurs la perspective d'un carambolage historique et se demandant peut-être ce qu'il en aurait été si Trotski avait pu mettre en place sa IVe Internationale. Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués perd sans doute le lecteur dans des entrelacs de luttes intestines, quand il s'agit de dirigeants russes depuis oubliés. Mais c'est aussi cela la mémoire de l'histoire. Il n'en reste pas moins un style d'une beauté à crever vos ventricules et puis un personnage féminin, Mila, mère d'Alex, véritable héroïne féministe tragique. De la littérature en somme.

Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués, ed. Point, 568 pages, 8, 70 euros
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