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The killer inside me

Littérature noire

Nein Nein Nein ! L'inclassable trip de Jerry Stahl

Mince. On pensait se marrer un bon coup avec le nouveau Jerry Stahl, profiter de ses délires d'ancien toxico génial, de son imagination infinie, de ses personnages loufoques. C'est raté. Nein nein nein ! est d'une profondeur vertigineuse, moitié philosophie, moitié sociologie, moitié histoire. Cela fait trois moitiés certes mais depuis les quatre tiers de Pagnol hein !
Avertissement aux lecteurs : Nein nein nein ! remue les tripes, convoque le conscient, le subconscient et aussi notre culpabilité occidentale.
Le récit est celui du voyage de Jerry Stahl sur les lieux terribles de la Shoah : Auschwitz, Buchenwald, Dachau, en passant par Munich et Nuremberg. D'origine juive polonaise, l'auteur a eu  toujours une sorte de fascination morbide pour les assassins de son peuple. Le docteur Josef Mengele n'apparaît-il pas dans ce chef d'oeuvre d'humour noir qu'est Anesthésie générale ? Le trip de Jerry Stahl s'est déroulé peu de temps avant la pandémie de Covid et en voyage organisé, s'il vous plaît. Toujours dépressif, en pleine instance d'un troisième divorce, avec un producteur qui lui réclame un scénario de série sur la vie familiale, le voila embarqué avec un Texan, un couple d'homos sexagénaires, une business woman d'origine asiatique et un vieux juif irrésistible. Dans son style décapant, corrosif, avec quelque chose du bon Woody Allen, Stahl se prend littéralement dans la gueule des sites qu'il connaît pourtant sur le bout des doigts, pour les avoir épluchés, pour avoir appris l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale et du génocide juif. A Auschwitz, c'est la vision du snack, dans l'enceinte du camp qui le frappe de plein fouet, savoir qu'un tel commerce perdure là où 70 ans plus tôt des humains mourraient de faim. Il y a aussi la réflexion d'un touriste devant les fours crématoires, " ça ressemble trop à un four à pizza..." Dans son voyage, il aura toujours ce sentiment de malaise, parfois de dégoût, de lui-même et des autres, se reprochant de participer à un tourisme indécent, tout en saisissant, parfois juste quelques secondes, l'immensité de l'horreur qui s'est joué là. Une ambivalence qui ne quitte jamais les pages de Nein nein nein ! Oui, bien sûr il y a toujours du sarcasme, notamment autour des Polonais, de leur physique, de leur gastronomie. Mais Jerry Stahl convoque aussi ses connaissances sur les camps, rappelant que les prisonniers affamés étaient nourri d'un ersatz de soupe, accompagné d'un adjuvant de goût de la société AVO. Société qu'il s'étonne être toujours en activité (véridique : https://www.cxmp.com/fr/company/avo-werke-august-beisse-gmbh/shop).
Humain, bouleversant, ce voyage, montrant un auteur toujours aussi perturbé qu'hypocondriaque, soulève des questions cruciales sur l'horreur chez l'homme, sur sa capacité au massacre, et notamment celui des juifs, à travers l'Histoire. Stahl ne se prive d'ailleurs pas de quelques parallèles avec Donald Trump et ses déclarations à l'emporte-pièce. Vu d'ici, cela paraît un rien exagéré. Mais vu d'ici. Après tout, Jerry Stahl est mieux placé pour parler du danger qu'à pu représenter le 45e président des Etats-Unis.
Le livre fourmille d'idées, de réflexions pertinentes, de pensées, chaque fois saupoudrées d'un décalage, d'une scène drôle. C'est sûr, on n'aimerait pas vivre tous les jours dans sa tête. Mais ce Nein nein nein ! est juste formidable d'intelligence. Les fans étaient sans nouvelles de Stahl depuis Thérapie de choc pour bébé mutant : il signe un retour fracassant.
Coup de chapeau à la traductrice Morgane Saysana qui a su rendre compréhensible toute la verve, toutes les allusions de l'auteur.

Nein nein nein ! (Nein nein nein ! One Man's Tale of Depression, Psychic Torment, and a Bus Tour of the Holocaust, trad. Moragne Saysana), ed. Rivages, 350 pages, 22 euros
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