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The killer inside me

Littérature noire

Quand Manchette se livrait aux journalistes

C'est encore un formidable travail des éditions de La table ronde et de Nicolas Le Flahec pour redonner du sens à l'oeuvre et au travail de Jean-Patrick Manchette. Nul besoin d'être un exégète de l'auteur de Que d'os ! pour apprécier Derrière les lignes ennemies, entretiens 1973 - 1993. Il suffit d'aimer le livre, la littérature, le polar et même le cinéma. Dans vingt-huit entretiens, pas moins, Manchette se confie sur sa jeunesse, sur ses premières années, de militant gauchiste, de prof (rapide) en Angleterre, puis sur la nécessité de gagner sa croûte. Il a eu l'opportunité de côtoyer, très tôt, des gens du cinéma. Pas forcément des têtes d' affiche mais de ceux qui avaient besoin de son écriture, qui allait devenir une plume. De fil en aiguille, il raconte donc son arrivée au polar avec ce sentiment fort que ses auteurs fétiches (Hammett, Chase) évoluaient dans un environnement, dans une société forcément différentes, mais que lui, dans ses romans, allaient au moins tenter de se conformer à leur behaviorisme. De même Manchette est très vite conscient de la culture-marchandise et décide d'y participer, un peu comme un infiltré. "L'extension du marché unifie toutes les créations artistiques comme objet de consommation de masse " déclare-t-il au magazine Encrage en 1980. On sent une forme de fatalisme quant à la production de romans policiers, "  il se trouve qu'il y a une mode, c'est-à-dire un marché  : n'importe quel bouquin violent, de gauche et écrit plus ou moins en français, trouve un éditeur et j'ai l'impression qu'il y a une énorme proportion de déchets " (Polar 1980).
Parfois, les entretiens se ressemblent, la faute à des journalistes qui posent les mêmes questions. Mais il y a de vrais moments de grâce, notamment avec Robin Cook ou Manuel Vasquez Montalban. On apprécie particulièrement cet entretien donné aux Nouvelles Littéraires et recueillis par Gilles Pudlowski où l'auteur balance à tout va, de " il y a quand même des gens qui continuent à raconter des histoires de coeur, de décrire des paysages avec soin. On n'en a rien à foutre ! " à " au fond, j'écris mes bouquins à la manière d'un exorcisme ".
Jean-Patrick Manchette se montre parfois horripilant lorsqu'il rejette tout le cinéma depuis Citizen Kane mais on le comprend, on suit son raisonnement. Pas exempt de paradoxe quand il place l'art si haut et qu'il reconnaît aussi écrire pour remplir le frigo, il se confie aussi volontiers sur les adaptations de ses romans (par Alain Delon tout de même !), sur son labeur de scénariste, de traducteur. Lire ses entretiens en 2023 est tout sauf superflu.

Manchette, Derrière les lignes ennemies, entretiens 1973-1993, ed. La table ronde, 298 pages, 24 euros
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