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The killer inside me

Littérature noire

Permanent Midnight : aller au bout de la came et revenir

Nina dormait toujours dans mes bras, et je tentais d'éviter de regarder la personne qui dormait à mes pieds, un squelette marmonnant effondré dans la poussière près d'un pilier. J'ai essayé de faire le vide dans ma tête, mais voici que le squelette, levant la tête, a tendu les bras, ouvert une bouche édentée aux lèvres noircies et pleines de pus et croassé : " Gentil bébé...laisse moi tenir le bébé ". Cette scène de Permanent Midnight, quand Jerry Stahl va chercher sa came dans un sous-sols pourri, sa fille encore bébé, tout contre lui, est un sommet d'horreur, de dégoût, illustrant la chute sans fin d'un homme dans les limbes de la toxicomanie.
En rééditant Mémoires des ténèbres, depuis longtemps épuisé chez feu 13e Note, Rivages permet aux lecteurs de replonger dans la sueur, les sécrétions, la paranoia et les lits d'hôpitaux qui ont été le quotidien de Jerry Stahl pendant plusieurs années à Los Angeles. Un long tunnel de douleurs, de satisfactions il l'avoue aussi, au cours duquel l'auteur a survécu quasiment par miracle : " heureusement que la personne chargée des amputations était d'avis contraire. Je suis resté hospitalisé environ trois semaines, et en sortant je pouvais encore applaudir. "
L'addiction de l'auteur commence assez tôt, à la fin des années 60, dans un lycée préparatoire et embrassera tout le spectre des narcotiques, tout ce qui se fume, s'inhale, s'injecte, se boit, s'avale. Ecrit après vingt années de dépendances, Permanent Midnight ne fait pas l'impasse sur une psychothérapie rapide, Stahl évoquant l'ombre énorme de son père, immigré juif lituanien traversant l'Atlantique en mangeant des tomates bouillies et devenant, à force de travail, juge à la Cour fédérale avant de se suicider dans son garage. A ce poids, s'ajoute, pour l'auteur, le dégoût de sa personne à travailler pour des magazines pornos d'abord (Hustler notamment) puis pour des séries télé comme Alf ou Clair de lune. Ecoeurement devant ces salaires astronomiques, ces collègues de bureau : " la dynamique de l'écriture pour la télé est censée minimiser toute créativité. La créativité est à l'opposé de la télé. "
Malgré son caractère, son imprévisibilité, Jerry Stahl est une plume que l'on recherche à Hollywood, il parvient donc à alimenter son addiction assez facilement pendant plusieurs années. Mais la naissance de sa fille va modifier sa perception du monde.
Ce n'est pas un hasard si l'auteur de A poil, en civil cite plus d'une fois William Burroughs parce que l'on pense au mythique Festin nu au cours de ces 500 pages, dans cette forme de frénésie à s'envoyer tout ce qui passe. Confession, expiation, repentance, on peut appeler Permanent Midnight de plusieurs manières mais c'est avant tout un monstre de livre qui parle réellement de la toxicomanie, de ce qu'elle fait au corps, à l'âme. On est bien loin des petits rails à la Beigbeder : ici, Stahl se chie dessus, pisse dans son froc sur Hollywood boulevard et dort dans sa voiture !

Permanent Midnight (trad. Emmanuelle et Philippe Arronson), ed. Rivages, 505 pages, 11 euros
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