Littérature noire
25 Avril 2011
Nicolas Sarkozy, en personnage central d'un polar ? Il fallait s'y attendre un jour ou l'autre de la part de nos auteurs français très portés sur la critique sociale et politique. Mais c'est vrai qu'associer DOA et Dominique Manotti, pour L'honorable société, c'était un sacré défi pour la Série Noire. DOA, on l'avait laissé avec son trépidant Serpent aux milles coupures, confirmant son statut de pousse vivace du roman noir. Dominique Manotti étant, elle, installée dans ce paysage depuis bien plus longtemps. Alors, oui, le livre est réussi. Il montre finalement à quel point les Français ont tort de ne pas s'intéresser à la politique : c'est complètement trépidant ces histoires d'amitiés industrielles, de trahison, d'espionnage... Car L'honorable société, c'est grosso modo, un candidat ministre qui entre les deux tours d'une élection présidentielle, est en train de livrer le nucléaire civil à un groupe privé. Et avec la tragédie de Fukushima, le roman a carrément pris une autre dimension.
L'honorable société c'est cette entreprise de BTP des Hauts-de-Seine, tenue d'une main de maître(sse) par Elisa Picot-Robert et qui envisage très sérieusement de prendre des parts dans l'industrie nucléaire française. Sauf qu'un homme des RG, travaillant pourr le commissariat à l'énergie atomique (CEA), a mis la main sur des prises d'intérêts coupables de la part d'Elisa Picot-Robert dans des sociétés napolitaines... Question d'un journaliste : " si l'héritière Picot-Robert vend ses filiales médias, elle va disposer de pas mal de cash... Elle en fera quoi ? Peut-être profiter des soldes sur des privatisations postélections. La nouvelle droite française aime brader le capital de ses électeurs. " DOA et Manotti tirent à boulets rouges et puisent leur fil narratif, en partie et en partie seulement (faut pas exagérer... quoi que !) dans l'actualité. Bref le fouineur des RG est tué par des barbouzes, envoyées par un sous-préfet aux ordres. Des ecoterroristes sont montrés du doigt aux médias qui ne se privent de les montrer, à leur tour, à la populace. Le récit est poisseux, violent, assume sa prise de position jusqu'au bout. Et fait mouche.
Sans oublier d'être particulièrement visionnaire si on pense donc à la centrale de Fukushima, établissement géré par leprivé Tepco, avec le succès que l'on sait... On tremble à l'idée pas si saugrenue d'un groupe privée contrôlant toutes les centrales de l'hexagone. Dans le roman, un flic dit : " les fuites qui ont alerté la justice italienne sur la collaboration entre PRG et la Camorra, ou celles qui ont signalé à certains journalistes français l'existence d'investigations des magistrats italiens, sont très opportunes pour le CEA. Elles mettent exactement le doigt là où ça fait mal. Un demi-siècle d'indépendance sous le contrôle impartial des pouvoirs publics, en toute sécurité. Le jour où nos actifs tombent dans l'escarcelle de groupes privés, qui, au hasard, de changements dans l'actionnariat, qui finira par les contrôler ? Vous imaginez des centrales nucléaires aux mains de mafieux ? "
L'honorable société, de DOA et Manotti, ed. Série Noire Gallimard, 329p., 18 euros.