Littérature noire
9 Mai 2011
Le Nicaragua. Jamais je n'aurais pensé m'investir dans le lecture d'un polar ayant pour cadre ce petit pays. Pourtant quand on y réfléchit, c'est - hélas - un décor naturel pour toutes les embrouilles de la planète. En parcourant le net, on y voit une histoire contemporaine terrible : coups d'Etat, trahisons politiques, interventions US, ouragan dévastateur, détournement d'aide humanitaire... Bref une instabilité propre à créer du drame. Sergio Ramirez, l'auteur d'Il pleut sur Managua, a vécu tout cela de l'intérieur et a même participé, il y a trente ans, à un gouvernement. Son roman se lit comme un témoignage. Avec une force incroyable. Et un personnage absolument magnifique : l'inspecteur Morales.
De plus en plus le polar se focalise sur l'inspecteur, le détective, le redresseur de torts. De plus en plus ce dernier laisse apparaître des failles, des hésitations destinées à le rendre plus humain, plus proche du lecteur. Mais vous n'avez encore rien lu d'aussi fort que cet inspecteur Morales.
Ancien guerillero sandiniste, il traîne une nostalgie teintée de dégoût pour les actuels hommes politiques qui se pavanent à la télévision nationale. Lui, l'homme des coups de force, est affecté aux stupéfiants... et travaille avec la DEA américaine. De ses années de guerilla, il garde un souvenir physique : une prothèse à la jambe, qui le fait boîter, qui l'humilie devant les dames. Solitaire, il n'a pas d'épouse, pas d'enfants. Juste une maîtresse. Et un très bon pote, Lord Dixon, son subalterne de la région de Bluefields. Tout deux aiment partager un poulet frit dans son appartement modeste de Managua. A l'occasion d'un coup de blues, Morales s'envoie même quelques rasades de rhum populaire. Bref, un gars qu'on aime.
Qui se retrouve avec une sale affaire : un yacht de luxe s'est échoué à Laguna de perlas. Il y a eu du sang versé. Visiblement celui d'une fille qui bossait pour des parrains locaux. On retrouve la trace d'un ancien guerillero passé du côté obscur mais aussi celles de boss des cartels de Sinaloa, de Cali, venus conclure des marchés au Nicaragua. Embrouille XXL au programme.
Tout cela dans le décor d'un pays, humide, chaud et dévasté, aux rues sans trottoirs, aux mendiants dans tous les coins, avec une ferveur religieuse de tous les instants et une procession catholique chaque jour. Il pleut sur Managua est enivrant, riche et douloureux. Et Sergio ramirez un sacré conteur.
Il pleut sur Managua, Sergio Ramirez, ed. Métailié, 270 pages, 19 euros.