Littérature noire
10 Juillet 2011
C'est le polar français dont beaucoup de spécialistes ont parlé au printemps. Les visages écrasés de Marin Ledun a eu une presse élogieuse, soulignant la pertinence de son, propos. J'avais déjà bien aimé La guerre des vanités, paru chez Gallimard l'an passé. Mais alors ce dernier roman... L'auteur, docteur en communication politique, franchit un cap en mêlant une intrigue soignée à un contexte social douloureux, récent et, pour tout dire, risqué. Car pour évoquer le malaise des salariés de France Telecom et en faire la trame d'un polar, il faut avoir un certain culot. Et du talent.
On connaît bien sûr, en partie, le drame de l'opérateur de téléphonie et internet tricolore (dont le nom n'apparaît jamais) qui a connu en 2008, 2009 et aussi en 2010, une vague de suicides sans précédent, conséquence jamais démentie d'une gestion manageriale inhumaine. Marin Ledun retourne l'affaire. Pour que le scandale éclate, il met en scène une merveilleuse médecin du travail, Carole Matthieu, oeuvrant sur un centre d'appels de Valence. C'est elle qui est aux avants-postes des dépressions, c'est elle qui a la conscience globale du sinistre humain, de ce management mortifère : " les consignes qui évoluent sans arrêt. Les anglicismes et les termes consensuels supposés stimuler l'équipe et masquant des réalités si sourdes et aveugles que le moindre bonjour est à l'origine d'un sentiment de paranoïa aiguë ".
Et pour que l'entreprise ne se réfugie pas derrière un énième communiqué officiel, elle va tuer les dépressifs, les suicidaires. " Je revois ses cheveux tomber en même temps que sa fierté. Je le vois passer du statut de salarié à celui de rouage. De rouage à la bête aux abois. De la bête aux abois au légume. Du légume à l'oubli ". Carole Matthieu, par ses meurtres, voudrait être une sorte de Prométhée apportant la vérité à la société. Ce polar oppressant se révèle extrêmement dur mais ce n'est pas cette violence que l'on lit habituellement, il n'y a guère de sang, tout est dans l'attitude des chefs de service, des directeurs. Et la déchéance des salariés. On y lit finalement guère d'espoir... Mais y en a-t-il un ? Remarquable.
Les visages écrasés, de Marin Ledun, ed. Seuil, 320 pages, 18 euros.