Littérature noire
17 Avril 2012
Si vous avez aimé Traffic le film de Soderbergh et bien sûr La griffe du chien de Winslow et plus récemment Tijuana Straits de Kem Nunn, Triple Crossing le premier roman de Sebastian Rotella devrait occuper agréablement vos prochaines nuits. On aime d'abord cette ambiance de pure violence qui règne à la frontière américano-mexicaine. Violences des humains entre eux, pour le trafic de stupéfiants, pour le passage des clandestins mais aussi violence des polices US et bien sûr mexicaines. Pour Valentin Pescatore, flic de la Frontalière yankee, l'aventure commence avec l'interpellation de deux filles, clandestines... Et c'est parti pour une sorte de grand huit dans l'argent sale d'Amérique du sud.
Rotella ne fait pas dans l'imposante documentation officielle façon Winslow, ni dans le scandale capitaliste et écologique de Kem Nunn, lui, trace un axe San Diego-Tijuana-Ciudad del Este. Son personnage central, Valentin Pescatore, bosse dans une équipe de fontionnaires largement (et justement) soupçonnée de corruption et d'atteintes aux droits de l'homme. Après un coup de folie, Pescatore se voit contraint de bosser pour les boeufs-carottes du coin. Et tout devient très compliqué pour lui, affrontant des situations plusieurs fois critiques. Avec, la petite dose qui fait vrai : les expressions locales du genre " esta cabron ya se fue a la chingada... no seas pendejo... pinche pollo mugrose hijo de la chingada no te muevas o te doy una madriza, joto ! " A replacer évidemment lors d'une prochaine conversation avec des amis hispanophones.
Mais Rotella a surtout un mortel sens du rythme, il sait livrer bien sûr ses informations (ancien journaliste finaliste du prix Pulitzer en 2006) sur le taux de corruption de l'état mexicain mais aussi de Washington, il étale les liens entre cartel de Baja et politiciens, terroristes. Une fois cela bien posé, il balance des scènes dantesques. Au premier rang desquelles la visite d'une prison dans le comté de Baja où les détenus vivent entre leurs femmes, leurs enfants mais surtout armes, téléphones et tout ce qu'il faut. Une description incroyable, très forte, hyper tendue.
Et la cerise sur le gâteau de ce livre dopé au mezcal, c'est l'ambiance aux chutes d'Iguazu, plus précisément du côté paraguayen, lieu véritablement sans foi ni loi, où les islamistes côtoyent les mafias taiwanaises, libanaises, mexicaines.
Au final, un roman à 100 à l'heure, très chaud, très humide, entre kidnapping, assassinat, passages à tabac, cocaïne, prostituées... très éclairant évidemment sur les relations entre Mexique et Etats-Unis. Et pour bien comprendre cette tension dans ce lieu stratégique, une petite image de l'incroyable mur entre les deux pays, mur qui va jusqu'à s'enfoncer dans la mer pour dissuader le baigneur sans papiers...
Triple Crossing, ed. Liana Levi, 440 pages, 22, 50 euros.