Littérature noire
10 Septembre 2012
" Tandis qu'une personne normale regarde un paysage et s'émerveille devant sa beauté, moi, j'ai tendance à me demander quel serait le meilleur endroit pour placer une mitrailleuse... " Avec Sniper, vie d'un soldat en Tchétchénie, Nicolaï Lilin reprend exactement son histoire là où Urkas, précédent coup de poing à l'estomac, s'était arrêté : la conscription dans l'armée russe. Histoire personnelle, teintée de roman, l'auteur russe, vivant désormais en Italie, prend encore son lecteur à la gorge : au coeur de la division des saboteurs, Lilin ne nous épargne rien, ni les tortures de l'armée russe, ni la folie des fondamentalistes et encore moins son point de vue sur ce conflit (10 ans, 100 000 victimes).
Pour reprendre le fil du récit, il faut se souvenir que Nicolaï Lilin, Sibérien, faisait partie d'un peuple fortement opposé au pouvoir central russe. L'obligation de servir la patrie en Tchétchénie ne l'enchante donc pas trop mais tout cela va se dissoudre dans la division des saboteurs, une unité en civil, chargée de percer les lignes ennemies à six ou huit hommes, pour exfiltrer des soldats pris au piège ou liquider une poche de résistance. C'est cette foi en la Russie qui saute aux yeux au début du livre : lui, le Sibérien en difficulté avec toute autorité, va, pendant deux années, combattre pour le pays.
Tireur d'élite (d'où le titre, vous l'aurez compris), le narrateur raconte en détail la préparation de la moindre opération. Comment il apprend à vivre, à dormir, avec un gilet pare balles renforcé de plaques de métal, comment, il supprime la moindre attache métallique qui pourrait faire du bruit, comment il s'habille en civil pour passer inaperçu... Les saboteurs sont une unité à part, avec un chef, Nossov, à la figure paternelle, lui, l'ancien d'Afghanistan.
Docu-roman passionnant, Sniper perturbe parfois la digestion. Les scènes de torture des paras ou les flingages de sang-froid des ennemis tchétchénes font froid dans le dos et renvoie à cette image de violence que l'on colle aux Russes. Nicolai Lilin détaille par ailleurs deux ou trois opérations avec minutie, plongeant le lecteur dans l'angoisse de la prise d'un quartier, évoluant dans les dédales de ruines, au milieu des éclats d'obus, des tirs de RPG, des centaines de cadavres... On parle là stratégie, peur, solidarité, haine. Haine oui, car " pour nous, la mentalité tchétchène était un mystère; on trouvait absurde qu'ils aident des étrangers venus d'Afrique ou de l'ex-Yougoslavie, alors qu'ils ne voulaient rien avoir à faire avec nous, qui étions leurs voisins et qui, bon an mal an, partagions avec eux une histoire commune. Ils voyaient dans les terroristes des héros, des gens qui se sacrifiaient pour le bien du pays, des Robin des Bois musulmans. " Une réflexion qui va à l'encontre de bien des commentaires que l'on a entendu de ce côté de l'Europe, sur la " résistance tchétchène ".
Mais Lilin est assez clairvoyant, lucide et le livre regorge des interrogations du sniper sur le bien fondé de certaines opérations et sur le sens même du conflit, sur la corruption au sein du commandement. Bref, le quotidien effroyable d'un tireur d'élite dans cette boucherie se révèle éclairant à plus d'un titre et ce deuxième opus de Lilin est une lecture quasi indispensable pour quiconque veut tenter de comprendre la Russie, pays aux milles facettes, toujours très obscur pour nous.
La question, maintenant, c'est : que va pouvoir écrire Nicolaï Lilin, une fois qu'il aura épuisé tous ses souvenirs ?
Sniper, édition Denoël et d'ailleurs, 436 pages, 22, 50 euros.
" Tandis qu'une personne normale regarde un paysage et s'émerveille devant sa beauté, moi, j'ai tendance à me demander quel serait le meilleur endroit pour placer une mitrailleuse... " Avec Sniper, vie d'un soldat en Tchétchénie, Nicolaï Lilin reprend exactement son histoire là où Urkas, précédent coup de poing à l'estomac, s'était arrêté : la conscription dans l'armée russe. Histoire personnelle, teintée de roman, l'auteur russe, vivant désormais en Italie, prend encore son lecteur à la gorge : au coeur de la division des saboteurs, Lilin ne nous épargne rien, ni les tortures de l'armée russe, ni la folie des fondamentalistes et encore moins son point de vue sur ce conflit (10 ans, 100 000 victimes).