17 Novembre 2012
Frankie Crowe est vraiment un sale mec. Une petite frappe qu vient de se purger quelques mois de zonzon dans la fameuse chapelle de Mountjoy au coeur de Dublin... Eh oui, encore un polar irlandais ! Encore avec Gene Kerrigan. A la petite semaine est d'ailleurs son premier, paru en 2005. Et ce qui est bien avec cet auteur, c'est qu'il ne s'embarasse pas trop de floklore, le lecteur ne traîne pas dans les pubs, ne ressort pas sans cesse des histoires de Verte Erin, de peuple celtique. Bref, il ne fait pas du Ken Bruen, comme s'il voulait s'en démarquer largement. Et c'est plutôt une bonne idée. Du coup, A la petite semaine, itinéraire d'un voyou de base qui se voit trop beau, a lui aussi quelque chose d'universel.
Le roman s'ouvre avec la traditionnelle scène fondatrice : Frankie et son pote Martin braquent un pub. Un vol de misère, doublé d'une attitude lamentable quand Frankie menace de son flingue les deux vieux occupés à leurs mots croisés. Pour ce brigand qui se rêve un avenir doré, c'est le mauvais plan de trop. Il faut voir plus grand : kidnapper un richard, un de ces types pleins de fric dont Dublin était remplie avant la crise.
Mais pour ce faire, il est utile de demander la bénédiction du patron, du boss : Jo-Jo Mackendrick. Ici, Kerrigan écrit une scène incroyable, de violences spontanées, un genre de séquence à la John Woo, millimitrée, où le tueur improvise et se jette tête première dans un bain d'hémoglobine. Epoustouflant. Après quoi, le lecteur sent que, forcément, cette histoire d'enlèvement va partir en sucette.
L'auteur est malin parce qu'il ne dresse pas d'emblée un portrait trop en négatif de Crowe. Il laisse les situations se présenter. Ainsi, en privé, Crowe crève d'amour pour sa fille mais aussi pour son ex. On sent le voyou déboussolé, très humain finalement, " presque " normal. C'est dans cette normalité que Kerrigan tisse son roman. Le couple victime de kidnapping est assez normal, si ce n'est son avis d'imposition sans doute. Nous ne sommes pas face à des géants d'industrie, des libéraux de la finance. Les potes de Crowe aussi sont normaux : pas des tueurs-nés, pas des types au casier judiciaire long comme le bras. Même les Gardai (la police irlandaise) sont tout ce qu'il y a de banal. Et c'est finalement ce qui fout les jetons. Et fait l'essence du livre. Tout comme la prospérité de l'Irlande de ces années-là apparait en contre poids de la misère sociale de certains quartiers de Dublin. Misère intellectuelle aussi, pour ce qui concerne la bande de bras cassés.
Un petit bémol tout de même sur la fin western. Le côté " les bonnes gens qui travaillent l'emportent "... c'est un soupçon moralisateur. Mais sur la forme c'est fichtrement rythmé une fois de plus.
A la petite semaine, édition Folio policier, 449 pages, 8 euros.