Littérature noire
9 Décembre 2012
Les occasions de découvrir des pierres angulaires de la littérature noire sont finalement rares. Mais le projet, par Rivages, de retraduction intégrale de l'oeuvre de Jim Thompson est une occasion qui, par définition, ne se représentera pas. Jim Thompson, on connaît aujourd'hui beaucoup pour ses adaptations cinéma dont le dernier et réussi The killer inside me par Winterbottom. Personnellement, je n'avais lu que Rage Noire, l'histoire d'un gamin qui joue les caïds. Très psychologique comme violence. Bref, je me colle à l'oeuvre en commençant par L'échappée.... Oubliez ce qu'en a fait Peckinpah dans les années 70. C'est autrement mieux dans le livre. Parce que Doc McCoy est un king du crime, un loup. Thompson créé là un personnage inoubliable.
D'emblée ce que j'aime dans Thompson, c'est la capacité à développer un truand. A lui donner mille et un atours et surtout ne jamais en faire un homme monolithique, facilement appréhendable. Doc McCoy est d'abord un cerveau. Un mec très intelligent, qui prévoit tout, qui anticipe. Nous ne sommes pas dans la pègre latine, grande gueule et look hostile : non, Doc Mc Coy est plutôt économe dans ses mots et il présente bien. Par contre, c'est un obstiné. Après le braquage à Beacon City, tout est clair dans sa tête : il faut se débarasser de Rudy, son complice et filer. Avec Carol. C'est élégant pour son épouse mais cela l'est moins pour le Rudy en question. Chef de meute, Doc Mc Coy, un loup qui ne peut accepter un autre dominant.
Cette fuite, ce road movie sanglant, en voiture d'abord, puis en train, en bateau, fait le sel du roman. Le couple se retrouve vite avec les polices des différents Etats aux fesses mais également Rudy, un sacré salopard également, qui a résisté à la volée de plomb de Mc Coy.
Enfin dernier élément, la relation de Doc avec Carol, toujours à la limite de la rupture, la confiance cédant la place à la paranoïa, l'affection ayant du mal à se concrétiser dans cette fuite rocambolesque. Le personage ambigu de Carol se dessine d'ailleurs très vite avec, encore une fois, beaucoup de psychologie.
De ce roman, on retient une scène immense dans la gare, une autre lorsque Carol est dans la grotte mais surtout on ressort impressionné par le style de Thompson, cet entre deux, ne faisant jamais passé Doc pour le maniaque qu'il est, dépeignant le monde " normal " comme un monde quasi factice ou sans intérêt. " Les Santis étaient des habitants des collines, des rebelles et des hors la loi plus que des criminels au sens commun du terme. Jamais ils n'oubliaient un service rendu ni ne pardonnaient une offense. Ils représentaient cette chose rare dans le monde du crime, des gens qui possédaient un réel sens de l'honneur. A une autre époque, ils auraient pu être pirates..." Thompson montre des êtres ignobles comme il ferait un documentaire sur des hyènes ! Reste l'ultime chapitre à El Rey, assez troublant, un brin onirique, qui interroge le lecteur.
Encore bravo à Pierre Bondil pour sa traduction et prochain arrêt avec L'assassin qui est en moi.
L'échappée, édition Rivages, 239 pages, 8, 65 euros.