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The killer inside me

Littérature noire

Jérôme Ferrari : " en vieillissant je trouve le romantisme de plus en plus dangereux "

Jérôme Ferrari : " en vieillissant je trouve le romantisme de plus en plus dangereux "

Non, ce n'est pas tous les jours qu'en Province et plus encore à Bastia, on a l'opportunité de rencontrer longuement un auteur, encore moins un Goncourt. On supporte suffisamment, toute l'année, des écrivaillons à deux balles, pétris d'égocentrisme, entre deux dédicaces moisies de leurs livres de recettes ou de leurs états d'âmes sans intérêt, pour se délecter de la soirée avec Jérôme Ferrari, ce mercredi, au théâtre municipal de Bastia. Une heure d'entretien, sur l'ensemble de son oeuvre, avec le libraire Sébastien Bonifay (de la librairie Les deux mondes, merci pour l'organisation) et 40 minutes de questions avec le public. Morceaux choisis...

La scène se passe donc dans la grande salle de ce théâtre à l'italienne, avec un immense rideau rouge, façon David Lynch, en arrière-plan. Marcu Biancarelli, son ami et son camarade de plume, ouvre le bal. Puis Ferrari arrive. Explications de son travail, traits d'humour et humilité au programme.

" C'est de loin la plus grosse rencontre en librairie que j'ai faite " se décontracte-t-il d'abord en voyant les 500 personnes face à lui. Il évoque d'ailleurs les dédicaces qu'il vient de faire depuis 15 jours en France, de Arles, à Paris, en passant par... Roman-sur-Isère. " Je suis allé là-bas parce que ce libraire avait fait une très bonne critique d'Un Dieu Un animal dans le magazine, très lu, des libraires. A une époque où le nombre de critiques dans les médias se résumait à zéro, cela avait été important pour moi. Donc quand mon éditeur a programmé une tournée de dédicaces, je lui ai demandé d'inscrire cette librairie. D'ailleurs c'est là que j'ai vraiment compris que quelque chose avait changé parce qu'auparavant quand je faisais des dédicaces, j'avais largement le temps de lire... et à Roman sur Isère, qui n'est pas précisément Manhattan, il y avait beaucoup de monde... beaucoup." Loyauté donc. Et retour sur cette journée du 7 novembre qui l'a vu consacrer au firmament des auteurs français pour Le sermon sur la chute de Rome. " Il y avait les rumeurs les plus négatives sur la possibilité que j'ai le Goncourt, même une fois dans le dernier carré. C'est mon ami journaliste, Antoine Albertini, qui m'a appelé depuis Drouant alors que moi j'étais dans les bureaux d'Actes Sud à Paris, à écouter les infos. Il m'a dit " Je crois que tu l'as..." Je lui ai répondu " Comment tu crois ?..." Et il me dit " Attends..." Et là j'attends. Au bout de 45 secondes il m'a dit " Ouuuiiii" Il a ma reconnaissance éternelle. "

Jérôme Ferrari aurait voulu fêter immédiatement ce prix en Corse. Mais il passera trois jours à répondre à la presse. Puis rentrera à Abu Dhabi retrouver ses élèves de philosophie. Il a deux classes en fait. Et celle de scientifiques redécorera entièrement la salle... en bar corse. " Même à Abu Dhabi ils ont réussi à trouver des autocollants à tête de Maure ! Ils avaient improvisé une partie de belote. Et puis au tableau, ils avaient écrit " Quitte à gagner dix euros, autant faire du baby sitting !" Parce que le prix Goncourt c'est aussi un chèque de dix euros... Il y avait vraiment tout un concours de circonstances, de chances qui ont fait que j'ai eu le Goncourt. Ce serait idiot de dire que c'est le meilleur livre de l'année. Si Patrick Deville, qui est deuxième, l'avait eu, on ne parlerait pas de moi. Mais la scène à Drouant illustre bien tout cela, l'hystérie médiatique... Les journalistes ont quand même failli assommer Edmonde Charles-Roux avec un objectif 70-200 ! Et puis c'est là que j'ai entendu les questions les plus cons ! Du genre " est-ce que comme vos personnages vous avez arrêter vos études philo'... ? " Je l'ai regardé et lui ait répondu : " je suis prof de philosophie, ça doit te donner un indice non ?..." On aime cet auteur qui voit très clair dans le jeu des journalistes et accepte de jouer ce jeu... à sa façon. On comprend aussi mieux pourquoi il s'est senti proche, un temps, de Houellebecq.

Dernier détail sur Le sermon... " Avec le précédent livre, Où j'ai laissé mon âme, j'ai eu le plus grand succès, jusqu'à présent, de ma carrière. Donc je me suis dit que mon histoire de bar corse, dans Le sermon..., n'allait pas intéresser grand monde. Je n'y comprends rien. Peut-être que certains y ont vu la fin du monde, puisque l'Apocalypse est à la mode. C'est une conjoncture, un faisceau d'éléments, encore une fois, que l'on ne maîtrise pas. On ne peut jamais savoir ce qui va plaire aux gens. Le sermon... est né sur plusieurs idées flottantes : d'abord le bar corse, parce que c'était un rêve que j'avais !, et puis la photo du début, le genre d'images que l'on a tous chez soi et que j'avais. Une photo dans laquelle on ne focalisait pas sur les présents mais sur l'absent. Et cela a été cristallisé par saint Augustin, sa phrase, " Le monde est comme un homme..." L'esprit de cette phrase c'est que toutes les affaires terrestres sont petites, les hommes s'imaginent voir de la grandeur là où c'est dérisoire. Comme toutes les choses terrestres. "

Jérôme Ferrari se défend d'être pessimiste ou optimiste, insistant sur le fait qu'un roman n'est pas là pour déprimer les lecteurs ou les aider à vivre. Il a cette phrase : " en vieillissant, je trouve le romantisme de plus en plus dangereux. "La chute des mondes, et non pas du monde, il aime se dire qu'elle ne correspond pas à une date précise. Il prend le cas de Rome bien sûr et de l'attaque des Wisigoths en 410. Mais il évoque aussi l'URSS, " que l'on imaginait éternelle dans notre jeunesse et qui s'est effondrée, sans que l'on fixe une date précise... " (pour ma part, c'est la retraite d'Afghanistan qui sonne le glas)

Enfin, le style Ferrari, moderne et ultra structuré, vient sur la table. " On ne travaille pas le style indépendamment du fond. Quand on parle de style on fait une distinction qui n'a pas de sens. C'est un tout. Le fond nourrit la forme. On ne se dit pas je vais faire des phrases longues ou courtes, j'obéis à une nécessité interne. C'est la question de la singularité qui m'intéresse plus. Aujourd'hui j'écris de plus en plus difficilement. J'ai l'impression que mon écriture est plus laborieuse mais, en revanche, je retouche moins. Je peux enlever un adjectif, une virgule, pour des questions rythmiques mais c'est tout. "

Riche en enseignements, en anecdotes mais aussi en vérités, la soirée a été joliment ponctuée par des lectures de l'éditrice Laure Limongi. Le seul bémol, c'est que l'on aurait souhaité que cela dure plus longtemps, que Jérôme Ferrari réponde sur l'usage de la correspondance dans ses romans, sur sa fascination pour les fluides corporels, mais aussi le choix de romans finalement assez courts. En quittant la scène, l'auteur, originaire du petit village de Fozzano, glisse " je n'ai qu'une vague idée de mon prochain roman. " Quelques minutes auparavant il avait bien précisé " de toute façon mon prochain livre, il n'y a pas un risque qu'il soit démoli : il va être démoli. Je sais comment ça fonctionne..."

(photo by Gérard Baldocchi/Corse-Matin)

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