Littérature noire
26 Décembre 2012
Ecrit en 1953, Le criminel de Jim Thompson est rarement cité parmi les meilleures oeuvres de l'auteur. Etonnant car il s'agit ici d'un sacré exercice de style, une petite prouesse littéraire même si Thompson n'est pas le premier à donner ainsi à voir un incident à travers plusieurs regards. Mais là où c'est très malin, c'est que le fait divers, ici, on s'en fiche un peu. C'est bien la conscience de cette population américaine blanche qui nous intéresse. Alors, oui, on aimerait savoir si le jeune Bob Talbert est bien le meurtrier de sa voisine Josie. Pourtant ce n'est vraiment pas le plus intéressant.
Dans Le criminel, il y a neuf personnages qui livrent leur point de vue sur la mort de Josie Eddleman. Les parents, puis le fils supecté, un directeur de journal, son meilleur reporter ( responsable syndical), le procureur, l'avocat, un policier... Bref, toute la micro société qui va graviter autour de l'incident. Et Jim Thompson ne va pas prendre de gants pour dénoncer la bassesse de cette classe blanche moyenne. Entre le père occupé à vendre du carrelage, la mère qui critique sa voisine, le reporter qui cherche à se jouer de sa direction, l'avocat et le procureur qui négocient presque un poste à la cour fédérale. Pitoyable monde. Alors, l'accusé, Bob Talbert, on le voit renfermé, discret, timide. Mais comme tout ado, finalement. Pas une once de violence particulière. Pas très malin non plus et d'ailleurs, il tombe, mais faut-il lui reprocher ?, dans le piège que lui tend le proc'.
L'action est lente et Jim Thompson a ce talentunique pour pénétrer l'esprit et dresser les portraits de chaque personnage, les coincer dans leurs petits gestes. Finalement les gens normaux l'intéressent peu. On le comprend. Sans les mépriser ouvertement, il leur reproche franchement leur manque de courage. Dans une Amérique qui s'éveillent aux Droits Civiques, l'attitude de l'auteur est sans fard : on crève des lâchetés quotidiennes, de la vie pépère de ces petites banlieues. La fin du roman, surprenante, fini d'assommer le lecteur. Juste, amère et, tout de même, inquiétante.
Critique de la Justice mais aussi du journalisme à sensation, Le criminel n'est pas exactement dans la veine noire, plutôt sociale et acerbe. Sans doute à (re)découvrir car les thèmes sont bigrement d'actualité.
Le criminel, édition Rivages, 191 pages, 7, 35 euros.