Littérature noire
22 Janvier 2013
C'est un travail unique que David Simon a fourni dans Baltimore : 900 pages de reportage sur une année au coeur de la brigade criminelle. Un job effectué aussi grâce à la volonté de la direction de son journal le Baltimore Sun, décidé à lui offrir ce congé sans solde. Quel journal, dans le monde, pourrait aujourd'hui se permettre un tel luxe d'enquête et de reportage à un de ses journalistes ? Le truc, c'est que David Simon, avant d'être le créateur de l'indispensable série TV The Wire, était à l'époque un quasi novice de 28 ans. Mais peut-être est-ce aussi son atout : sans préjugés, sans formatage, il va se glisser dans le quotidien d'une vingtaine d'inspecteurs, sans se faire remarquer. Le résultat est tout simplement époustouflant, sans doute l'un des meilleurs livres jamais écrit sur la police.
Lorsqu'il fait son enquête, en 1988, Baltimore (700 000 habitants) est en proie à une violence diverse : règlements de compte entre dealers, braquages qui tournent mal, viols... On dénombrera 234 morts hommes et femmes à la fin de l'année. Mais cela ira crescendo, pour atteindre un mort par jour en 1991 ! Un mort par jour dans une ville de la taille de, tiens !, Marseille.
David Simon ne se fait surtout pas le comptable de cette morbidité. Il suit les enquêtes sur le terrain et c'est réellement passionnant, surprenant, déroutant. Car il s'agit de vrais crimes et de vrais suspects, qui se mettent tout seul dans des panades pas possibles. On songe à ce black qui trucide deux frères à l'arme blanche chez eux et se blesse méchamment avec le couteau dans l'action. Aux policiers qui viennent le choper à l'hôpital où il se fait soigner, il assure " je me suis blessé sur un grillage..." Une comédie, dramatique. Et les acteurs en sont ces flics, über humains, râleurs ou fainéants, jamais stéréotypés. En bon journaliste, Simon prend son temps pour les détailler, montrer leurs petits défauts et leurs grandes qualités. Angélique David Simon lorsqu'il parle des policiers ? Pas de bavures, de dérapages ? Si. Il y a ce tir mortel dans Monroe Street dans la chasse à un suspect. Et tout le monde pense que c'est bien un flic qui a fait le coup. De quoi donner des migraines à l'inspecteur Edgerton. Et malgré des interrogatoires très mal vus, des demandes d'analyses, rien ne sera prouvé. David Simon parle également de l'arrêt Miranda qui a mis fin aux brutalités policières de manière kafkaïenne.
Baltimore s'étire ainsi sur 365 jours, avec le quadruple assassinat d'une femme qui veut toucher les assurances-vie de ses maris, le meurtre et le viol cauchemardesque d'une fillette, le faux enlèvement d'un sénateur, les visites à l'institut médico-légal, au tribunal... du quotidien pur jus, d'avant les séries croupies style Les experts.
Il y a tout de même un certain vertige à la fin de Baltimore. On a beaucoup glosé sur l'absence du président Bush Jr après l'ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans... mais comment peut-on laisser une ville comme Baltimore s'enfoncer ainsi dans la violence la plus dingue ? Ce pays ne voit-il pas le sang versé ? Son système ne comprend-il pas que les peines de prison à vie sans remise de peine ne font pas reculer la délinquance ? Quel est l'avenir des riches Etats-Unis ? Le lecteur est effaré du constat dressé dans Baltimore et saisit parfaitement le fossé largement creusé, sinon entretenu. Baltimore, c'est la lutte des classes !
Enfin, une bonne interview de L'Express et l'avis sur ce livre du copain Encore du noir. Si, après tout ça, vous n'avez pas envie de le lire...
Baltimore, édition Sonatine, 937 pages, 22 euros.