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The killer inside me

Littérature noire

Du whisky à gogo et des femmes trucidées pour ce Monsieur Zéro de Jim Thompson (6)

Du whisky à gogo et des femmes trucidées pour ce Monsieur Zéro de Jim Thompson (6)

1954, Jim Thompson est dans sa période faste : après quatre romans l'année précédente, il en fourgue trois cette année-là. Dont ce Monsieur Zéro. Livre de dingue encore une fois, roman bien barré, dans les arcanes de la psychopathie et évidemment au coeur d'une province américaine toujours aussi peu séduisante. La patte de l'auteur est reconnaissable entre toutes, dans sa faculté à trouver un personnage central fort, fou et pitoyable : Monsieur Zéro, alias Clinton Brown, est ainsi le petit frère de Lou Ford de The killer inside me. Un type bancal qui a toute les apparences de la normalité. Lou Ford est flic. Clinton Brown est journaliste. Et il tue.

Il tue sa femme d'abord. Puis d'autres femmes qui croisent sa route. Ce sont des créatures qui le poussent à bout, des nanas qui lui mettent la pression. Lui, le séducteur, le manipulateur qui joue avec ses collègues de bureau, comme avec son chef de la rédaction. Ou avec le shériff. Il se pense puissant mais il n'est rien. Rien sans cet organe sexuel dont on comprend par petite touches, qu'il en a laissé une partie en Europe, durant la Seconde guerre mondiale. Ce manque, cette absence, sont plus qu'en transparence durant tout le roman. C'est ce qui fait aussi que Brownie se " murge " à chaque instant : whisky au réveil, whisky à dix heures, avec du café, des oeufs crus, à la maison, au boulot, au bar... ce journaliste est une éponge comme rarement on en voit dans la littérature (chez Crumley, il y en de beaux, c'est vrai).

Tout le génie de Thompson, c'est de nous montrer que Brownie n'est qu'un pauvre type. Thompson ne glorifie pas le tueur comme ce sera le cas 50 ans plus tard dans les thrillers malsains et voyeurs qui parsèment nos librairies : ce Clinton Brownie est un raté, une victime finalement de son dérèglement comme Lou Ford en somme. Et ses propres victimes, elles mêmes, sont des ersatz d'existence : " non, je ne pouvais pas éprouver de regret pour Constance. J'avais fait ce qu'il convenait de faire, mis un terme à son pauvre simulacre de vie de la façon la plus adéquate. " Thompson reste impitoyable avec la société qui l'entoure : que ce soit les journalistes, les flics, les politiques, la vie de couple... Monsieur Zéro n'est pas aussi soigné que les autres, il sonne même creux parfois, mais son personnage central, comme d'habitude, est suffisamment excitant pour entraîner la lecture. Et puis il y a quelques scènes magnifiques dont cet inoubliable repas chez l'épouse du rédacteur en chef. Un Thompson moyen si on juge que The killer inside me est (pour l'instant) son altar.

Je reviens encore sur la traduction (par Jacques Hall). D'après la carte consultée, Pacific City, la ville où se déroule l'action, est en Oregon, au bord de l'Océan Pacifique. Forcément, Los Angeles est donc plus bas non ? Pourtant quand Brownie part de Los Angeles avec Deborah pour le " trajet de retour " , il part " en direction du sud " (page 154)... Autre chose : l'expression " les yeux comme des boutons de bottine " revient au moins trois fois dans le livre. C'est pas too much ?

Monsieur Zéro, édition Folio Policier, 274 pages, 7 euros.
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