Littérature noire
26 Août 2013
En littérature étrangère, le choix du traducteur est capital. Et pourtant, trop souvent ignoré des lecteurs. Depuis plusieurs années, Jacques Mailhos, spécialiste de la langue américaine, prend ses quartiers d’été sur la façade ouest du Cap Corse, dans la maison familiale de son épouse. Pour sa traduction du Désert solitaire d’Edward Abbey, il a reçu deux prix nationaux en 2011. Ce fidèle des éditions Gallmeister travaille désormais, entre autres, sur la réédition de l'oeuvre de Ross Mc Donald, pilier du polar hardboiled américain.
Comment vient-on à traduire les grands noms de la littérature noire américaine ?
Cela a commencé après ma maîtrise de littérature anglaise. J’étais en DEA et je devais faire ma thèse sur Joyce. A vrai dire, je n’étais pas très enthousiaste. Et lors de cours de sociologie à Normale Sup', un professeur a demandé des étudiants pour faire des traductions américaines. J’y ai pris goût, j’étais dans la langue. Et depuis 12 ans, j’en ai fait mon métier.
Il n’y a pas de difficulté entre l’anglais et l’américain ?
Pas vraiment. C’est plus difficile de passer d’un auteur à un autre, ça oui.
En général, je travaille plus lentement quand j’aborde un nouvel auteur mais après le premier tiers du livre, ça va plus vite. Je suis un stakhanoviste : quand j’attaque une traduction de livre, je ne lève plus la tête pendant des jours entiers. Le plus fastidieux, c’est lorsque je me retrouve face à des tournures assez mal construites. Cela m’est arrivé une fois pour une sorte de journal de bord.
Gallmeister est spécialiste du Nature writing. Cela pose une difficulté spécifique ?
J’ai débuté dans cette maison avec des récits sur la pêche à la mouche, un sport qu’adore Oliver Gallmeister ! Bref, j’ai traduit John Gierach. Et pour tous les termes techniques, sur les différentes plumes utilisées pour la fabrication d’une mouche, je posais la question à des personnes qui s’y connaissaient. Pour que cela soit l’expression juste en français. Sinon, il y a des forums sur internet. Cet outil est éminemment précieux. Mais ma pratique de la langue se fait au quotidien. En regardant des films américains évidemment et aussi en lisant beaucoup de littérature française.
Et des romans anglophones ?
Bien sûr. Mais les livres de Manchette, Jonquet, Daeninckx me permettent d’acquérir la culture de cette littérature française. C’est ce que je répète à mes étudiants : pour bien traduire, il faut connaître l’original et être à l’aise dans le français. Une bonne traduction, c’est une bonne lecture. L’idéal c’est lorsque le lecteur oublie que ce livre n’a pas été écrit, au départ, en français. Mais il peut exister deux ou trois bonnes traductions d’un même livre.
Vous doutez beaucoup lorsque vous traduisez ?
Quand je travaille sur Ross McDonald, je vérifie parfois l'apparition de telle ou telle expression. Particulièrement dans les dialogues. Je prends l'exemple des débuts de la hi fi dans ses romans : est-ce que l'on dit un pick-up ? Un tourne-disque ? De même lorsque des ados parlent, est-ce qu'ils disent c'est super, c'est cool ou c'est bath ?... Bon, c'est bath, c'est quand même très années 70. J'aime la langue d'Audiard mais la plaquer sur du roman noir, comme ce fut le cas pour Jim Thompson, ça ne marche pas.
Quel est l’intérêt aujourd’hui de rééditer Ross McDonald ?
Les descriptions psychologiques, la critique sociale de McDonal ont été passées à la trappe dans les précédentes traductions. Il faut savoir que traduire de l’anglais au français fait augmenter un livre d’environ 20%, c’est comme ça, l’anglais est plus concis. Or les livres de McDonald en version originale affichaient 200 pages et en français, ils en faisaient autant, voire moins. Jusqu’à 30% du texte était donc tronqué ! J’avais connu ça en travaillant pour les éditions Harlequin où tous les romans devaient être lissés... On peut dire que McDonald a été particulièrement saccagé par le passé. De même Gallmeister a ressorti Le gang de la clé à molette, d’Abbey, pas parce qu’il avait été mal traduit mais pour être plus respectueux de la langue de l’auteur. Mon éditeur a en fait saisi l'occasion d'une réédition de l'adaptation qu'en avait fait le dessinateur Crumb pour le ressortir.
Quoi de neuf en 2013/2014 ?
Je dois rendre un nouveau John Gierach en septembre et il y aura deux autres aventures de Lew Archer de Ross McDonald puisque l'on essaye de tenir le rythme de deux rééditions par an. Il y aura le deuxième Benjamin Whitmer après Pike qui a bien marché. Puis un autre Edward Abbey. Tout cela chez Gallmeister. Et Payot/Rivages m'a aussi contacté pour travailler avec eux. Par amitié, j'en ai parlé à Oliver Gallmeister, cela n'a créé aucun problème : c'est gratifiant pour moi et pour lui.