Littérature noire
25 Novembre 2013
On entre dans l'univers de Natsuo Kirino avec patience, ouverture et émerveillement. Disparitions est sorti ce mois-ci en poche et c'est l'occasion d'un nouveau bain dans son univers sombre, étouffant, dans cette société de codes, de pressions, de drames aussi. Comme dans Out ou Intrusion, c'est une femme qui est au coeur du roman. Natsuo Kirino s'applique ainsi dans son oeuvre à tisser le portrait de la femme japonaise dans toute sa complexité, ses parts d'ombre. Ici, il s'agit de Kasumi, un personnage magnifique : trentenaire, elle a fui son petit village sur l'île d'Hokkaido après le lycée, sans laisser d'adresse à ses parents. Elle a refait sa vie à Tokyo, y a trouvé un métier, un mari et un amant. Mais ce facheux jour d'août, l'une de ses petites filles disparaît dans la montagne...
L'éditeur assure en couverture qu'il s'agit d'un thriller... On en est très loin. Disparitions est une étude psychologique, un cas clinique de névrose féminine et une approche sensible du sentiment mortel. Kasumi cumule aussi toutes les culpabilités. D'abord, le jour de la disparition de sa fille, elle se trouve près du lac Shikotsu, à Hokkaido, dans la maison de son amant où elle a été invitée avec toute sa famille. En effet son mari et Ishiyama, son amant, font fructifier des relations commerciales depuis une vingtaine d'années et ce dernier, pour être plus près de sa maîtresse a songé à inviter toute la famille, sous les yeux de sa propre femme. Les deux amants se retrouvent ainsi au coeur de la nuit, dans un débarras. Et c'est après une nouvelle nuit de sexe, alors qu'elle pense à tout abandonner, tout, pour son amant, que Yuka, la fillette de cinq ans disparaît. Kasumi s'en veut alors d'avoir eu cette pensée égoïste... Et se met à songer à sa propre disparition, vingt ans plus tôt.
A partir de cet instant, elle n'aura de cesse de retrouver sa fille. La police a sondé le lac, interrogé les rares habitants du lotissement, ratissé la fôret... rien, pas de traces, pas de témoins. Tous les 11 du mois, date anniversaire de cette " volatilisation ", Kasumi téléphone aux voisins du lac Shikotsu, attendant un signe. Son obsession fait exploser toutes ses structures mentales et sociales : son amant la quitte, son mari devient distant. Jusqu'au jour où, quatre ans après, un jeune flic en phase finale de cancer lui propose son aide.
Véritable chant de mort, Disparitions voit ses deux personnages avancer vers l'inéluctable. Natsuo Kirino dans des pages d'une beauté époustouflante retrace le parcours mental de ces deux naufragés de la vie, naufragés de l'espoir même. La plume de Kirino est d'une sensibilité rare tout en restant rugueuse , attachée aux réalités basiques de ce monde. Kasumi devient difficile à suivre, dure à comprendre parfois. Son nouvel ami, Itsumi, sur un véritable chemin de croix, fait partager sans fard les douleurs de son cancer, la difficulté de s'endormir, de manger.
Il faut bien ces plus de 500 pages pour saisir l'épaisseur d'une telle histoire intime. Et si ce n'est pas un thriller, ce n'est pas pour autant un roman policier. Le mystère initial est en fait dans le coeur de ces deux êtres humains : qu'est-ce qui les fait avancer ? Qu'est-ce qui les fait se lever ? Quand nos mondes s'écroulent, que les certitudes sont soufflées, comment continuer ? Pour qui et pour quoi ? Que reste-t-il sinon des sentiments de pure compassion, d'amour quasi christique ?
Disparitions, de Natsuo Kirino, édition Points, 543 pages, 8, 20 euros.
On entre dans l'univers de Natsuo Kirino avec patience, ouverture et émerveillement. Disparitions est sorti ce mois-ci en poche et c'est l'occasion d'un nouveau bain dans son univers sombre, étouffant, dans cette société de codes, de pressions, de drames aussi. Comme dans Out ou Intrusion, c'est une femme qui est au coeur du roman. Natsuo Kirino s'applique ainsi dans son oeuvre à tisser le portrait de la femme japonaise dans toute sa complexité, ses parts d'ombre. Ici, il s'agit de Kasumi, un personnage magnifique : trentenaire, elle a fui son petit village sur l'île d'Hokkaido après le lycée, sans laisser d'adresse à ses parents. Elle a refait sa vie à Tokyo, y a trouvé un métier, un mari et un amant. Mais ce facheux jour d'août, l'une de ses petites filles disparaît dans la montagne...