Littérature noire
30 Décembre 2013
Que feu le groupe Soldat Louis nous pardonne un emprunt à son chef d'oeuvre de la chanson (pas seulement française) mais le dernier recueil de nouvelles de la belle maison d'édition Asphalte, à savoir La Havane Noir, tourne autour de ces trois axes. On aurait pu y ajouter le communisme mais en fait non, il ne s'agit pas de cela. On aurait pu aussi changer l'ordre des mots... mais du coup, le rapport à la chanson, eh bien, on ne le comprend plus ! Bref, c'est un très bon opus encore une fois, après Los Angeles, Paris, Washington et bien d'autres cités de cette collection. Mais attention, c'est vraiment inégal.
La littérature cubaine est d'une fertilité peu croyable depuis ces dernières années. On se souvient du remarquable Oublier Cuba d'Ivonne Lamazares, de 100 bouteilles sur un mur qui avait connu un vrai succès en France, d'Ena Lucia Portela et, dans le polar, il y a bien sûr, Leonardo Padura et l'immense Daniel Chavarria... dont on désespère d'avoir un jour des nouvelles.
Avec la Havane Noir, c'est un panorama sans doute assez juste de ce qui s'écrit au coeur de cette vieille cité mais aussi à l'extérieur puisque certains de ces écrivains sont aujourd'hui exilés. Sur les 18 nouvelles, si un Top 5 devait s'établir, c'est sans nul doute Le dîner de Carolina Garcia-Aquilera qui monterait sur la plus haute marche du podium. L'histoire d'une bande de potes qui ont maintenant 70 balais et qui, depuis toujours, organise, chacun leur tour un festin, à une date anniversaire, à base de produits de la mer. Sauf que cette année Luis ne sait pas où trouver les coquillages, le bon poisson... et pour cause, il n'y a plus rien sur les marchés officiels ou au noir. Il demande donc à son fidèle compagnon-valet-homme à tout faire de lui tordre le cou pour ne pas avoir à subir la honte de manquer à son devoir... C'est beau, joliment écrit, une sorte de nostalgie et de fatalité, d'impuissance.
Il y a aussi, dans les fortement recommandables, La coca cola del olvido (Lea Ashkenas), l'expression qui désigne ces Cubains qui oublient leur famille, leur patrie une fois qu'ils ont atteint La Yuma (les Etats-Unis). Un assassinat et une belle-mère d'Artur Arango, un classique Whodunit autour du base ball. Même si on ne comprend pas un traître mot à ce sport étrange, la nouvelle se déguste. Le Pont rouge, par Yoss, vaut aussi par son témoignage de cette jeunesse cubaine totalement défoncée, qui avale cachets et rhum comme du petit lait. Et, last but not least, l'excellente Vengeance chinoise d'Oscar F. Ortiz qui, sous l'angle d'un crime presque classique, évoque l'émigration des Chinois à la fin du XIXe siècle.
Le reste n'est pas mauvais, il y a, pour tout dire, juste deux ou trois nouvelles, sans doute pas assez abouties. Toujours est-il qu'avec une ville d'une telle personnalité il fallait bien ces dix-huit auteurs pour tenter d'en saisir les premiers contours. A la fin de La Havane Noir, on comprend mieux, même si on y est jamais allé (et peut-être même mieux que ceux qui voyagent avec Fram !), les forces de cette ville, les capacités à se démerder de ses habitants, ainsi que la machine administrative, militaire qui broie chaque jour le peuple. Au final, les Habaneros n'ont donc plus que les femmes et le rhum comme choix. Lire aussi, l'excellente chronique de notre confrère Yan.
La Havane Noir, recueil par Achy Obejas, édition Asphalte, 312 pages, 22 euros.