Littérature noire
16 Février 2014
Elégant, fluide, caustique, l'Anglais Ian McEwan réussit son entrée dans la littérature d'espionnage avec son nouveau roman, Opération Sweet Tooth, concentré sur le début des années 70. Enfin, roman d'espionnage... Le MI5 sert seulement de trame à une histoire d'amour charnelle et littéraire. Car, au travers de son personnage principal, la jeune espionne Serena Froma, l'auteur laisse libre cours à sa passion du livre sous toutes ses formes, romans de gare, classiques, poésies. McEwan est un ogre de lecteur et n'hésite pas à rendre hommage à ses pairs et au monde du livre en général. Ecrivain cultivé, il n'en fait pourtant pas des tonnes et conserve un ton léger, jusqu'à un final désarçonnant.
Serena Frome aurait dû faire des études littéraires. Mais devant ses facilités pour les mathématiques, ses parents - dont l'auteur dresse un portrait splendide - la pousse vers Cambridge. Elle ne sort pas major, loin de là, mais fait de multiples rencontres et surtout celle d'un vieux maître espion qui va l'initier, avant tout, aux choses de l'amour. Ces passages là sont absolument formidables d'écriture, entre la jeune nymphette, intelligente, curieuse, et le vieux loup, fan de cuisine italienne et de secrets. Cette liaison est le creuset d'Operation Sweet Tooth puisque c'est ce Tony qui va recommander Serena au célèbre MI5. Mais attention, l'espionne en herbe, dans ce monde machiste, se contentera de tâches purement administratives, rébarbatives. Avant de décrocher sa mission : guider subtilement un auteur qui monte vers des écrits anti-communistes. C'est l'opération Sweet Tooth.
Sur le plan du pur espionnage, le lecteur se passionne pour les joutes entre services, au sujet des troubls en Irlande notamment, mais aussi sur la volonté des services secrets de parer à tout développement d'idées gauchisantes en Angleterre. L'auteur évoque ainsi une manipulation de ce genre pour le cultissime 1984 de George Orwell. On en saura toutefois pas plus, restant un brin sur notre faim.
L'environnement social du pays est également finement dessiné, entre grève des mineurs, salaire minimum, élections tendues. L'Angleterre est agitée par de grands mouvement sociaux et pour les tenants du pouvoir, par une vraie crainte de voir le pays basculer dans - quelle horreur ! - le socialisme.
Espionnage et contexte social sont les deux piliers sur lesquels s'appuient Ian McEwan pour tisser une intrigante histoire d'amour. Avec un personnage féminin remarquable, comme on en lit peu sous la plume d'auteurs masculins finalement. Operation Sweet Tooth régalera les amateurs de littérature classique comme ceux qui aiment être surpris. Car les dix dernières pages réservent un twist étonnant, pas simple, un poil long mais malin comme tout.
Operation Sweet Tooth, Ian McEwan, édition Gallimard, 437 pages, 22, 50 euros.