Littérature noire
31 Mars 2014
Depuis une poignée d'années, en découvrant petit à petit son oeuvre, je considère Thomas H. Cook comme l'une des voix les plus singulières du roman noir. Un auteur largement au-dessus de la mêlée, qui s'impose avec un style délicat, mais pas exempt de tourments, de questionnement. Une écriture fine au service de cette âme humaine, toujours torturée, écartelée dans ses passions. Le dernier message de Sandrine Madison est peut-être ce qu'il a écrit de mieux aujourd'hui. C'est encore supérieur à son succès Au lieu-dit Noir l'étang, petit bijou de gothisme. Il y a là une tension chronologique dans le déroulé d'un procès, une grande lucidité dans l'analyse des sentiments, un formidable portrait de ville de province et une narration magnifique, alternant avec virtuosité les flash backs et, surtout, les emprunts à la littérature internationale.
Sam Madison, professeur doctorant à l'université de la petite ville de Coburn (Géorgie), se retrouve sur le banc des accusés après la découverte du corps de Sandrine Madison, sa femme. Elle gît dans son lit, une bougie sur la table de nuit, au milieu de plusieurs carafes, une rose à la main... Aucune trace de violence, de lutte. Pourtant, par ses maladresses mais aussi son attitude un brin méprisante pour la communauté de cette ville de province, Sam Madison va attirer l'attention de la police sur lui. Jusqu'à être inculpé. Sa femme venait d'apprendre qu'elle était victime de la maladie de Charcot, que ses souffrances allaient durer des années. Son mari a-t-il abréger ses souffrances ? Par égoïsme ?
Thomas H. Cook nous donne à lire, non pas, un classique roman de prétoire mais bien le fil d'une histoire d'amour, commencée sur les bords de la Méditerranée, entre Sam et Sandrine, tous deux passionnées de culture. Si le lecteur tremble à l'idée de savoir que l'époux ait pu commettre l'irréparable c'est bien parce que le couple semblait si assorti... quoique. En effet, Cook s'emploie superbement à montrer comment le coeur de Sam, autrefois si bon, si généreux, s'est petit à petit desséché, pour en faire un homme, pas encore aigri, mais au moins détaché, lointain : " la conscience non de la tristesse de la vie, mais de sa fureur, la conviction qu'elle était en réalité un serpent lové sur lui-même qui mordait perpétuellement ça et là... " Quand Sandrine, elle, avait, de son rêve d'ouvrir une école, une mise en pratique quotidienne en donnant des cours du soir, en s'attachant à ses élèves, les plus ignares soient-ils. Attitude moquée par Sam qui voudrait la voir écrire un livre.
Au fil du procès, le sentiment de Sam va évoluer. D'abasourdi par l'idée d'être accusé, il va se montrer encore méprisant envers ses concitoyens, puis revenir sur les premiers pas de son amour, pour, un moment, s'imaginer que sa femme en se donnant la mort a voulu le piéger... C'est tout les entrelacs de l'amour, l'usure d'une relation, ses ambiguïtés, que l'auteur déploie sous nos yeux.
Et la magie de Thomas H. Cook est bien de créer du mouvement sans que ses personnages bougent de leur banc d'accusé... ou de l'esprit de Sam, " victime " de tous ses souvenirs pendant l'audience. Avec ce mystérieux gimmick autour de la ville d'Albi où Sandrine demanda Sam en mariage. La construction du Dernier message de Sandrine Madison est minutieuse, précise, intensément littéraire avec des références à Gide, Camus, Montaigne, TS Eliot, Yeats, Oscar Wilde, Shakespeare, Tolstoï... tout cela sans jamais être chiant une seconde. C'est le talent pur. Un roman à vous briser le coeur.
A lire aussi la chronique de Le vent sombre.
Le dernier message de Sandrine Madison, Thomas H. Cook, édition Seuil, 352 pages, 22 euros.