Littérature noire
24 Avril 2014
Sans le bouc qui lui ceint parfois le menton mais avec son Stetson, Craig Johnson a débarqué à Quais du polar, cette année, avec sa cinquième aventure de Walt Longmire, Molosses. Accompagné de son éditeur, Olivier Gallmeister, l'ancien flic de New-York ne se départit pas de son sourire, de cette bonne humeur qui lui colle à la peau. C'est bien simple, à chaque question, il répond toujours, et d'abord, par un rire profond, avant de se plonger dans ses souvenirs, ses observations. Profondément honnête et sans prétention, Craig Johnson a pu, une fois de plus, mesurer sa notoriété avec des files d'attente impressionnantes pour ses dédicaces. Un mec cool en somme.
Dans Molosses, Walt Longmire se retrouve face à un trafic de marijuana, des projets immobiliers... est-ce la fin de l'Eden dans le Wyoming ?
Je ne sais pas, il y a des tas de changements en ce moment. La marijuana est localisé au Colorado, dans l'Etat de Washington... Mais pas dans le Wyoming, qui est un peu plus conservateur. Il y a toujours eu des trafics de drogues dans cet Etat parce qu'il y a deux autouroutes importantes, la 90 qui va d'Est en Ouest et la 25 qui traverse l'Etat du Nord au Sud. Il y a donc pas mal d'activités autour de la drogue. Notamment avec la métamphétamine. Et c'est la première fois que je parle de marijuana dans mes livres. Pourtant Duane, le trafiquant, n'est pas un maître du crime, c'est surtout un mec stupide. Souvent, on retrouve dans les romans policiers des génies du mal, assez ridicules, comme le professeur Moriarty et dans la réalité ce n'est pas ça, ce sont juste des types qui font des mauvaix choix. Et ne peuvent pas revenir en arrière.
Geo Stewart, Betty Dobbs, sont des personnages très âgées mais formidables. Avez-vous une affection particulière pour les seniors ?
Ils ont une histoire, un background, c'est pour ça que c'est intéressant. Un des aspects du livre, c'est cette romance à la Roméo et Juliette. Un amour bâti sur des ruines. C'est la balance de ce livre car il se passe des choses horribles autour d'eux mais, là, il y a quelque chose de formidable qui se déroule. Le livre est assez noir, il y a de la pression, c'est une petite ville, les relations explosent. Et puis j'ai écrit cette première scène, avec le grand-père attaché à l'arrière du pick-up... c'était une scène humoristique, comme un mécanisme de défense de mes personnages qui voulaient garder leur sens de l'humour, dans une histoire terrible et pour garder leur santé mentale, il fallait qu'il y ait cette parenthèse, plutôt drôle.
Vous traitiez du Viet-Nam dans Enfants de poussière, de chevaux, dans Dark Horse, cette fois, il s'agit de chiens, faut-il un fil rouge pour construire une histoire ?
Absolument, il faut être attentif aux problèmes sociaux, la plupart de mes livres viennent d'articles de presse. Des fois je lis un truc et je me dis ça c'est pour Longmire ! Je dois construire mes livres dans l'Ouest américain, il ne s'agit pas de voir Longmire sur un skate board ! Alors il y a un symbolisme certain avec ces chiens. Mais les animaux sont une face de mes romans, ils appartiennent à notre Nature, cette Nature qui revient dans notre civilisation. Le chien de Walt est présent dès la première aventure mais dans Dark Horse, on m'a glissé à l'oreille qu'il n'y avait pas assez de chiens ! Ils sont donc devenus des personnages. Dans Little Bird, le fusil à bison était un personnage à lui tout seul. Le camion de Henry aussi est un personnage important. C'est la partie marrante de mon travail de créer des personnages qui soient des animaux ou des objets.
Avez-vous envie de développer, à part, dans une autre histoire, les personnages de Vic, Henry Standing Bear ou Lucian ?
Ils sont des invités surprises de chaque livre, ils viennent, ils participent à une super scène et s'en vont, ils ne sont jamais fatigués, ils ne vieillissent pas finalement. Walt, c'est lui le mec dur, le mec qui porte le roman. La série est à la première personne, vous êtes avec Walt, tout le temps, dans sa tête. Les personnages secondaires, si j'en faisais des romans, perdraient de leur magie. Je ne sais pas mais je pense que je les garderais en support de Walt.
Est-ce que vous avez encore cette mythologie de la Nature, vierge et sauvage ?
Il y a quelques années, je me suis rapproché des Cheyenne, des Crows, de leur philosophie, de leur mythologie. Ils ont un nom pour tout, pour chaque objet. La Voie Lactée, ils l'appellent la route suspendue, qui mène au monde suivant, à celui des morts. Walt, il est comme moi, il est comme nous, c'est un Blanc qui est dans ce pays depuis 200 ans. Le peuple d'Henry, lui, y est depuis des millénaires. Ils doivent savoir ce qui se passe dans ce pays un peu mieux que nous. Particulièrement dans notre monde moderne, où on bouge beaucoup, on en fait plus, on s'accroche aux technologies... eux, s'arrêtent, observent et voient des trucs, sentent ou ressentent ce que l'on ne peut plus faire. Ils sont plus attentifs.
Est-ce qu'il existe une culpabilité envers les Indiens d'Amérique ?
Historiquement, sociologiquement, tout à fait. Cela dure depuis deux cent ans. Ce n'est pas nouveau. Si vous regardez l'histoire mondiale, dans tous les pays, pour obtenir ce qu'ils voulaient certains peuples ont piétiné d'autres qui étaient déjà là. Dans le nord du Wyoming, il y a donc des réserves Crow et Cheyenne, cesgens sont mes voisins, ils sont mes amis. Quand je les inclue dans mes livres, je dois faire attention et du coup, mes romans ont un certain succès chez eux. Il y a une part d'excuse, une part de tristesse aussi, mais je dois composer avec et surtout quand je parle de leur art, de leur histoire, de leur mythologie, je dois le faire bien. Parce qu'il y a eu assez de conneries sur les Indiens. C'était malhonnête. Moi je les traite comme des personnages d'abord. Sur mes romans, je ne mets pas un tampon « Indiannité certifié ».
Avez-vous lu Tony Hillerman ?
Oui. Béni soit-il. Les gens ont oublié à quel point Tony était courageux : il a publié son premier roman en 1967 et à cette époque, être indien, ce n'était pas quelque chose de cool. Il y avait beaucoup de militants qui se retrouvaient à Alcatraz, il y avait des émeutes dans les rues. C'était donc incroyablement courageux d'entamer une telle série avec deux policiers indiens. Les gens ont oublier ça. C'était un type super gentil, de la vieille école, j'ai eu la chande de le rencontrer, j'ai aussi lu le livre de sa fille... Je vais vous raconter une anecdote. On était au ranch, avec ma femme, en automne, on était assis dehors le soir. Il y avait un tipi un peu plus loin et dessus, la pleine lune dessinait la silhouette parfaite d'un hibou Grand Duc. Je me suis tourné vers ma femme et je lui ai dit, « woaw, quelqu'un essaie de nous envoyer un message » Le lendemain on apprenait la mort de Tony.