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The killer inside me

Littérature noire

Les rêves de guerre : la littérature et la chute de l'Homme par François Médéline

Les rêves de guerre : la littérature et la chute de l'Homme par François Médéline

C'est un roman noir bien à part. Pour son deuxième livre, François Médéline a mis les mains dans le cambouis de la création littéraire, dans les conséquences d'une oeuvre, parfois aussi tranchante qu'un coup d'Opinel... Michel Molina, chef d'enquête au SRPJ de Lyon, voit, au retour d'une belote dans un troquet, son passé lui remonter à la gorge, comme un vilain rejet gastrique. Un corbeau lui balance deux coupures de presse, deux faits divers, séparés par 20 années . Molina se remémore ainsi un drame de sa jeunesse, en juillet 1969 : la mort de son meilleur ami, sur les bords du lac Léman. Deux décennies après (l'auteur aime décidément cette époque), c'est le frère de celui-ci qui y passe. Et d'après les Pandores locaux, l'affaire est pliée : c'est le même homme qui a fait le coup. Un simple d'esprit. Michel Molina sait parfaitement que c'est impossible. Et pour cause.

On retrouve dans Les rêves de guerre, le goût de Médéline pour le séquençage du temps, il aime ainsi offrir plusieurs voix à ses intrigues, comme il aime travailler ses personnages au corps, leur donner des aspérités, des failles. La première voix, c'est forcément celle de Molina, qui éprouve les pires difficultés pyschologiques à remonter jusqu'en 1969. Molina, bouleversé par son adoration de Lyse, un vieil amour inachevé, qui le mène aujourd'hui à l'onanisme pur. Ou pire, à se blottir comme un enfant dans les bras d'une catin... Quand il reprend le fil de son histoire personnelle, il arrive bien plus loin que l'année érotique chère à Gainsbourg. Le temps s'arrête à 1944. A Mauthausen... C'est la seconde voix du roman. Une partie très dure du livre qui énonce les conditions du camp, la section des prostituées, les dents volées aux morts... la fin de l'Humanité. " Votre humanité, là, cette connerie, toutes ces conneries, elles sont mortes là-bas, à jamais, toutes ces certitudes de merde, des utopies de la marche du monde et du progrès, cette odeur de chiotte, tout ça est parti en fumée, on ne construit rien sur un lit de cendres " C'est l'oncle de Molina qui le dit à Pivot dans une reconstitution saisissante d'un numéro d'Apostrophes, un oncle écrivain qui a raconté tout ça dans un roman terrible, devenu culte, mais dont le flic lyonnais ignorait jusqu'à l'existence.

François Médéline, auteur qui connaît ses classiques, créé le chaos. A la fois pour ses personnages, forcés de régler la facture de décennies de mensonges ou de non-dits, mais c'est le chaos aussi chez le lecteur, bousculé, heurté, par un style qui prend des risques, qui se permet 30 pages sur une émission télévisée fictive. L'auteur interroge d'ailleurs parfaitement la littérature et son rôle dans la société. Il interroge aussi le pouvoir des mots. Leur limite.

Alors d'accord, c'est du roman noir, avec des personnages à mourir ( mention spéciale au Vieux et ses truites nettoyées dnas la baignoire d'une pension), des scènes de France profonde, un macchabé, des embrouilles immobilières, la pègre... mais il y a surtout une immense douleur, cette bile, cette acidité, qui revient des profondeurs de l'être pour noyer les fausses harmonies du quotidien. Médéline donne de belles choses à lire.

Les rêves de guerre, François Médéline, ed. La Manufacture de livres, 326 pages, 20, 90 euros.
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