Littérature noire
11 Juillet 2014
Sortons un instant de la littérature noire pour évoquer un roman paru au début de l'année et franchement original, très bien écrit et d'une dimension historique intéressante. La petite communiste qui ne souriait jamais a été salué, à la fois par la critique (mais cela ne veut rien dire on le sait) et le public (... c'est pareil). Ce qui en fait un livre au-dessus des autres, c'est la persistance de ses pages chez le lecteur. D'accord, tout le monde sait qu'il s'agit d'un dialogue fictionnel entre l'auteur, Lola Lafon, et Nadia Comaneci, gymnaste roumaine ultra douée, sans doute la meilleure athlète (avec Bubka) du bloc de l'Est. Outre la plongée dans l'univers roumain, terrifiant, Lafon donne une parole, imaginée, à Comaneci. Qui se défend et défend aussi, joliment et prudemment, le régime qui l'a faite. En 2014, évoquer ainsi un pays communiste n'est pas anodin tant le monde semble parti pour dix siècles de libéralisme sans frein.
On peut lire La petite communiste qui ne souriait jamais de deux manières différentes. Avec des passages comme celui-ci : " Le pays, m'explique Radu P., un journaliste, était devenu une fiction à laquelle personne ne croyait, personne... Il fallait continuer à faire semblant. Les années 1980 étaient un cauchemar de l'absurde. En 1983, chaque propriétaire d'une machine à écrire devait la déclarer au commissariat et cuex qui représentaient " un danger pour la sécurité de l'Etat " ou qui avaient un casier judiciaire étaient interdits de machine à écrire. Et la censeure... Des équipes spéciales de la Securitate avaient dressé une liste de mots interdits dans les les romans, les films ou les chansons. Ceux en particulier, qui évoquaient la faim ou le froid... " On est entre Brazil, de Terry Gilliam, et la Corée du Nord actuelle.
Mais le livre revient aussi sur le révolution qui fait tomber Ceauscesu et ce libéralisme advenu, finalement aussi terrible : " En 1989 ont-ils donné leur vie pour que nous ayons plus de Coca-Cola et de McDonald's ? Ont-ils donné leur vie pour que nous devenions esclaves du FMI ? Sont-ils morts pour nous nous enfuyoons toujours plus loin de cette Roumanie qui ne peut nous offrir une vie décente ? Morts pour que des milliers de personnes âgées dorment dehors et meurent de froid ?..." Il y a une ironie, de l'acidité, que l'on n'attendaient pas forcément et qui équilibrent intelligemment le propos.
Après, il y a le talent de Lola Lafon pour raconter mille et une anecdotes drôles dont la première évidemment est cette panne des tablaux électroniques Longines, aux JO de Montréal 1976, qui n'avaient pas prévu de notes 10 et affichent pour Comaneci 1.000 ! Ou encore cette scène quand, à Moscou, on tente de torpiller la délégation roumaine pour favoriser les petites russes.
Un live irrésistible, que l'on ait connu ou pas, cette époque, le communisme et les vestes à épaulettes !
La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon, ed. Actes Sud, 310 pages, 21 euros.