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The killer inside me

Littérature noire

Orphelins de Dieu : épiques perspectives sur la violence dans la Corse du 19e siècle

Orphelins de Dieu : épiques perspectives sur la violence dans la Corse du 19e siècle

Marc Biancarelli publie cette semaine son deuxième roman chez Actes Sud, après Murtoriu, voici donc Orphelins de Dieu. Un raccourci pourrait évoquer une vendetta sous forme de western. Heureusement c'est un peu plus profond. La jeune Vénérande, dans cette Corse du début du 19 e siècle, terriblement violente, appelle à l'aide un vieux guerrier pour venger l'honneur de son frère, torturé, alors qu'il faisait tranquillement paître ses brebis. L'image pastorale, rurale, vole en éclats avec ce vieux soldat des armées de Pascal Paoli : L'infernu. Presque un sosie du gamin de Méridien de sang (dont on reparlera dans ce blog la semaine prochaine). Il a été enrôlé tout jeune pour se battre contre les Français qui avait conquis la Corse. Et commis les pires atrocités.

L'infernu, usé par les cavales, les combats et la maladie, accepte le " contrat " de Vénérande, son dernier, il le sent, mais on n'est pas ici dans une vendetta, type Colomba. Marc Biancarelli veut perdre le lecteur en baptisant L'Infernu du nom d'Ange Colomba mais le roman se garde justement de toute apologie de la violence. Bien au contraire. La guerre reste une immonde création des hommes, une abomination que raconte L'Infernu à la jeune Vénérande. Et celle-ci va voir retomber sur ses frêles épaules, toute la crasse de cette décision de venger son frère. Tandis que son bras vengeur va lui narrer le détail de ses campagnes en Italie, avec des frères d'armes fous de violence, mais aussi en Corse. Une meute de soldats perdus, que l'on a connu aussi sous le nom, trompeur, de bandits d'honneur...

L'auteur nous parle de la violence qui gangrène la société, des guerres que l'on ne sait pas stopper, de cette Justice que l'on réclame. Le thème n'est certes pas nouveau mais Biancarelli à son style. Un style très sec, toujours romanesque, qui sait s'adapter à ses deux principaux personnages. Un roman, peut-être un peu court, mais qui se lit comme on regarde un combat de boxe entre poids moyens : ça va vite, ça saigne et l'issue est franchement incertaine.

A l'occasion de la sortie nationale de son roman, l'auteur, porto-vecchiais, a fait un saut à Bastia cette semaine, à la librairie Les Deux Mondes. Il se confie sur Orphelins de Dieu. « Cette histoire, je l’avais en moi depuis quelque temps déjà. Les Orphelins de Dieu, ce sont ces personnages à la dérive, loin de leurs idéaux de départ, de leurs idéaux de jeunesse et dans la mythification de leur passé. Dans le roman, Théodore Poli, un personnage qui a réellement existé, comme tous ceux dont je parle, avoue : « on ne se bat plus que pour nous-mêmes »... Ils sont dans une telle dérive de violence que leur moralité est entamée. Ces bandes-là ont existé au 18e siècle mais moi j’avais un problème de jonction des histoires, je souhaitais que cela soit comme un western donc j’ai posé mon roman au début du 19e. Ils sont en fait les derniers paolistes. Ils se battaient contre les Français, contre les gendarmes de l’époque. Et ils ont en fait été chassés par les Voltigeurs, des auxiliaires corses que la gendarmerie engageait pour faire ce boulot. Et puis les Paolistes se sont repliés sur la Toscane, terre d’exil traditionnelle. Ils tentent d'y rejoindre des Bonapartistes mais ça ne marche pas. Jusqu’à ce que, là aussi, devenus des voyous, des bandits de grand chemin, ils soient chassés... On a oublié à quel point la conquête de la Corse, comme toute conquête, a pu être quelque chose de violent. L’anecdote des colliers d’oreilles, on la retrouve en Amérique mais aussi dans notre île : un soldat suisse fabriquait même des colliers avec des nez ! Ce sont des faits de guerre. J'ai voulu volontairement être à l'opposé de tout romantisme, le bandit d'honneur romantique c'est ce que j'appelle le Mérimeisme, cette façon de voir la Corse avec des clichés. Moi j'ai puisé dans l'Histoire de la Corse, dans des écrits, mais aussi dans la mémoire familiale, locale, par exemple pour l'anecdote du type mort dans un four à pain... La littérature américaine a elle aussi beaucoup fonctionné avec ces histoires orales. Alors oui, il y a peut-être du Méridien de sang dans mon roman. Mais moi, j’ai plutôt pensé à Josey Wales hors la loi, le livre. Mais la vraie source, c’est True Grit. Enfin, cela s’en inspire, simplement. Car il y a des schémas qui sont bien à nous, en Corse. Mon personnage de L’infernu ne pouvait pas, par exemple, être un shérif ! Il y a des schémas répétitifs dans l’Histoire et Orphelins de Dieu est une manière de parler aussi du présent. Les rebelles du 19e siècle ont dérivé comme les nationalistes dans les années 90. Le roman permet de dire des choses... mais cela reste un roman. "

Orphelins de Dieu, Marc Biancarelli, Actes Sud, 234 pages, 20 euros.
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