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The killer inside me

Littérature noire

David Peace : " Shankly prônait un socialisme simple, naïf, hérité des mines de son enfance "

David Peace : " Shankly prônait un socialisme simple, naïf, hérité des mines de son enfance "

Juin dernier. Dans le patio d'un bel hôtel parisien, David Peace joue avec l'édition anglaise de poche de Red or Dead, sorti l'été passé au Royaume-Uni et ces jours-ci en France sous le titre Rouge ou Mort. " Vous voyez la photo de couverture, c'est Bill Shankly et derrrière c'est l'image qui faisait la couverture de Damned United (44 jours), avec Brian Clough ! " Red or dead, l'histoire intensément humaine du manager de Liverpool de la fin des années 50 au début des années 70. Lors de la lecture à Paris de quelques extraits, François Guérif, patron des éditions Rivages qui accueille Peace depuis ses débuts, se désespérait, en plaisantant, " d'un nouveau livre sur le foot, où je n'y comprends rien ". Ce n'est pas grave. David Peace explique pourquoi ce nouveau roman, c'est plus que ça.Plus que du football.

Un enfant du Yorkshire comme vous, qui écrit sur Liverpool, est-ce normal ?

Non, pas vraiment. Mais Liverpool est l'un des clubs les plus célèbres dans le monde. Quand Shankly a arrêté, j'avais sept ans donc je ne me rappelle pas la période de Shankly comme manager mais je me souviens clairement d'avoir vu à la télé la finale de la Cup entre Liverpool et Newcastle. Je me souviens que dans mon école du Yorkshire, des gamins supportaient Liverpool et surtout Keegan, qui était un nouveau Georges Best ou un David Beckham. Il était sur des paquets de céréales, à la télé ! Les petits garçons voulaient lui ressembler. Donc à l'école, la moitié était pour Leeds, une autre partie pour Liverpool et encore d'autres pour Manchester. Pour ma part j'étais supporter d'Huddersfield. Shankly a été manager d'Huddersfield avant de venir à Liverpool. Il y a fait trois saisons mais ce n'était pas fantastique. Il est venu après Andy Beattie qui, lui, a ensuite repéré Kevin Keegan pour Liverpool.

Qui vous a raconté l'histoire, l'épopée de Shankly ?

Mes souvenirs les plus anciens commencent quand il a démissionné. Mais il était une figure, une sorte de légende. Particulièrement pour mon père. Mais tellement de mes amis supportaient Liverpool que je connaissais l'histoire. J'avais donc cette image du manager respecté par les fans, révéré, mais aussi l'image d'un socialiste. Mais ce n'était pas aussi clair que lorsque j'ai commencé àfaire les recherches pour le roman. J'ai de la chance, le livre a bien marché avec les supporters de Liverpool mais je ne l'ai pas vraiment écrit pour eux, car ils connaissent l'histoire, vous voyez encore dans le stade des drapeaux pour Shankly, il y a une statue... J'ai écrit en fait cette histoire pas parce que Shankly avait été oublié mais parce que c'était à la fois un homme drôle, il disait des trucs marrants, mais aussi d'autres très sérieux. Aujourd'hui on le cite beaucoup mais souvent à moitié, on coupe le contexte. Je vous donne un exemple, Skysports a fait une pub qui disait " Shankly a dit que le football est un sport simple ". Point. Or après il dit que c'est une forme de socialisme, un sport collectif. Mais ça a été coupé. Donc j'ai voulu remettre ces citations dans leur contexte mais aussi que les gens se rappellent qu'en 1959 Liverpool était en D2. Que Shankly ne se souciait jamais de lui mais plutôt de l'équipe, des supporters.

Rouge ou mort est finalement plus un livre sur le peuple de Liverpool et sa communion avec Shankly non ?

Oui. Shankly faisait partie de cette génération de grands managers. Comme Matt Busby par exemple. Ils étaient amis, ils venaient de la même région d'Ecosse, de terres minières. Mais le truc unique de Shankly, c'est son rapport avec les supporters qu'il voyait comme ses égaux et ça, il a été le seul. Paisley, après lui, a eu plus de succès, les supporters l'ont adoré mais il n'y avait pas cette communion. Quand Shankly jouait avec Preston North End, il est venu à Anfield (le stade de Liverpool), il a vu la passion et il disait qu'il n'y avait qu'à Glasgow qu'il avait connu ça. Il a avoué que s'il venait à Liverpool, avec la passion qu'il y avait, il pourrait créer ou aider à créer quelque chose de très spécial. On disait que Liverpool était un club plus protestant qu'Everton mais ce n'était pas la réalité. Et certainement pas comme à Glasgow avec le Celtic et les Rangers. Alors historiquement, il y a eu quelque chose de ce genre à Liverpool mais jamais vraiment visible. Liverpool et Everton ont des supporters incroyables mais Liverpool a eu plus de succès.

Grâce à Shankly ?

Oui. Grâce à lui. Ne vous méprenez pas : Paisley a fait quelque chose d'incroyable en gagnant trois coupes d'Europe ! Mais sans la venue de Shankly, avant, cela n'aurait pas été possible. Quand il arrive à Liverpool, le club n'a jamais gagné la FA Cup, le public est moins présent mais surtout il est le premier manager à choisir son équipe, à organiser l'entraînement, à décider quel joueur j'achète ou je vends. Il est le premier manager moderne. Il les fait remonter en Premier League, ils deviennent champions d'Angleterre, puis il gagnent la FA Cup une fois, deux fois... Le vrai mystère, c'est pourquoi se retire-t-il ? Je pense que c'est pour sa femme, Ness. Il ne l'aurait jamais avoué mais je pense que c'est pour elle. Mon plan au départ, c'était d'écrire sur cette retraite de Shankly et quand j'ai vu son travail, tout ce qu'il a fait, j'ai compris qu'il fallait que j'écrive l'histoire dès son arrivée au club.

La bibliographie que vous citez à la fin de Mort ou rouge est impressionnante. Avez-vous réellement lu tous ces livres ?

Ah ah ! Oui. Et aussi tous les comptes-rendus de matches. Le roman est long mais le manuscrit original l'était encore plus : il y avait aussi les matches de coupe de la Ligue. C'était trop.

Bon, c'est un livre sur le football mais c'est très politique. N'avez vous pas dit un jour que tout était politique ?

Oui. J'ai eu beaucoup de chance car je suis allé à Liverpool pour faire mes recherches et pour rencontrer les gens qui ont écrit sur Bill Shankly. Et notamment John Roberts qui a écrit l'autobiographie de Shankly, My Story. Roberts est aujourd'hui un ghost writer. C'était un célèbre journaliste de foot et de tennis, il est à la retraite mais je suis allé chez lui, près de Manchester, je voulais savoir ce que c'était de faire l'autobiographie de Shankly. Il m'a dit " attends une minute ". Il est allé au grenier et il est revenu avec une cassette qu'il m'a prêtée, où il y avait toutes les interviews qu'il a fait. Quand je suis rentré à Tokyo, je l'ai écoutée, c'était comme si on était avec Shankly dans la pièce ! On l'entend répondre au téléphone, on entend Ness, ses petits-enfants, c'est juste incroyable. Mais il m'a aussi donné une cassette de Radio City, la radio de Liverpool, une interview donc avec Harold Wilson, le Premier Ministre, une émission que le reste du pays, finalement, n'a jamais entendue. C'était fou, ce moment entre un Premier Ministre travailliste et ce manager à la retraite. J'ai décidé de la restranscrire. Avec mon éditeur, on trouvait que c'était long mais on ne pouvait pas la couper. On ne pouvait pas. Après il y aussi cette interview télé, encore avec Wilson, sur le thème de la retraite, c'est là qu'il dit que le football c'est bien plus qu'une question de vie ou de mort... J'ai écrit huit livres avant ça, tous très noirs, même 44 jours qui est sur les pires jours de Brian Clough et je voulais changer, Shankly est l'antidote à la vie moderne, au football moderne. Il a eu cinq frères qui ont tous été professionnels. Quand Bill Shankly est venu jouer en Angleterre, puis quand il est devenu manager, même dans les petits clubs, il avait ces idées socialistes, où tout le monde aide l'autre, sur l'équipe, rien que l'équipe, le collectif. C'était un socialisme simple, naîf, hérité de ses mines. D'ailleurs son village a totalement disparu quand les mines ont fermé, il reste juste une plaque commémorative pour dire que Shankly est né là.

Qui était Robert Burns tellement cité dans votre roman ?

Burns est le héros de Shankly. Il avait sa biographie à la maison, c'était comme une Bible, il le citait souvent. C'est sans doute le plus connu des écrivains écossais et s'il a eu une vie très mouvementée, un peu folle, il n'en n'était pas moins étudié dans toutes les écoles écossaises. Et Bill Shankly connaissait très bien ses poèmes. Même s'il a quitté l'école à 12 ans, il s'intéressait aux livres d'histoire, aux Etats-Unis, à la boxe.

Cela fait deux livres sur des entraîneurs. A quand un roman sur un joueur, Georges Best par exemple ?

Le football est vraiment une passion britannique, tout le monde en parle mais il y a, là-dessus, peu de romans. Les joueurs, c'est difficile d'écrire dessus parce que leur jeu est instinctif et tellement rapide que cela me paraît impossible. Il y a eu un bon film sur Zidane mais c'est rare et il était bon parce que justement, il y avait tout un travail sans le ballon. Je ne pourrais pas non plus écrire sur des supporters parce que, eux, sont, au contraire, loin de l'action. Le manager, ou l'entraîneur, finalement, est entre ces deux mondes, dans une situation fantastique, où il observe, il fait partie du match.

Vous avez suivi la saison de Liverpool qui manque d'un rien le titre ?

Oui. C'est comme si la retraite de Ferguson, le manager de Manchester qui a tellement mis dans l'ombre Liverpool, leur avait donné des ailes. Ils sont peut-être à l'aube d'une nouvelle belle aventure. Et puis le fait que l'enquête sur le drame d'Hillsborough soit rouverte, ça, ça a soulagé le club, l'équipe. Chez des joueurs comme Gerrard, cela s'est vu de suite. Les gens de Liverpool n'étaient plus traités comme des menteurs. Mais bon, à vrai dire, je ne suis plus autant fan de football. Pour la Coupe du Monde, je m'étais juré de ne rien regarder et puis quand j'ai pris l'avion pour la France en juin, ce jour-là, à cette heure-là, il y avait Angleterre-Italie, j'ai regardé le premier quart d'heure, j'ai vu le but italien, le but anglais. Et puis j'ai pris mon taxi et c'est mon fils qui m'envoyait des textos !

On arrête de parler foot. Où en êtes-vous du troisième tome de la trilogie japonaise ?

En bonne voie, j'ai le manuscrit avec moi. J'ai écrit Rouge ou mort aussi parce qu'en 2009 je suis venu deux ans en Angleterre pour que mes enfants se familiarisent avec cette langue et qu'ils voyent mes parents. Je ne pouvais pas écrire la fin de la trilogie japonaise en Angleterre !

Vous êtes proche de Cathie Unsworth qui a écrit sur la musique à Londres. Et vous quand est-ce que vous nous parlez de punk ?

La musique était déjà présente dans le Red Riding Quartet ! Ce serait intéressant, un challenge. Ma référence en la matière est le roman de Nick Tosches, Hellfire. Mais je pense que ce n'est pas simple. Je ne dis pas non attention !

Vous avez longtemps écrit, depuis très jeune. Comment expliquez-vous votre succès en 1999 ? Par votre style ?

Enfant, j'étais vraiment absorbé par les comics. Ensuite quand j'étais dans un groupe de punk, que je chantais, j'écrivais tous les textes. Puis quand j'étais étudiant à Manchester, à 23, 24 ans, j'ai écrit un roman encore plus long que Rouge ou mort. C'était très dense. Je l'ai envoyé à des éditeurs. Certains m'ont simplement dit non. D'autres m'ont dit, c'est de la merde ! Après quoi je suis parti à Istanbul où je n'ai pas écrit. Puis à Tokyo, pour travailler. Pour travailler un peu comme chez MacDonald's de manière régulière, toujours avec les mêmes horaires. A l'époque, il n'y avait pas internet, j'avais donc mes livres avec moi, des livres de polars car j'en ai toujours lu. Et là, j'ai lu et relu le quatuor de Los Angeles d'Ellroy. Parce que je me disais qu'il fallait que lise des choses que j'avais envie d'écrire... Ellroy a été tellement gentil avec moi. J'ai fait son interview pour le Guardian il y a quelques années. Et début juin, pour la sortie de Rouge ou mourir aux Etats-Unis, il m'a invité chez lui. Il est top. Bref, au Japon m'est venu 1974. C'est mon père qui a lu les premières notes, les trois premiers chapitres. Il m'a dit " c'est vraiment bon, envoie-le ". J'ai énormément travaillé dessus. Mon éditeur, John Williams, savait que ce serait un quartet. Il devait même y avoir cinq romans mais GB 84 était trop différent. Dans Rouge ou mourir, mon style s'accroche à ce que disait Shankly, que le football est comme une rivière, qui coule sans cesse. Mais c'est aussi comme une religion, il y a des rendez-vous, toujours les mêmes, c'est répétitif, chaque semaine, chaque saison.

On a beaucoup parlé du scandale de pédophilie de Jimy Saville, l'animateur de la BBC. Quel était son lien avec Peter Sutcliffe, l'éventreur du Yorkshire, le personnage de votre quartet ?

Alors oui Saville a été interrogé à l'époque mais comme beaucoup de personnes de la région. Dont mon père. Quand Sutcliffe a été interné, Saville lui a rendu visite dans les hôpitaux. Saville était vraiment un type dégueulasse, au-delà de ce que l'on imagine, avec les enfants et même les enfants internés. A Leeds et dans le Yorkshire, on l'a toujours détesté : il était conservateur, monarchiste... et il supportait Manchester United.

Un dernier mot sur les funérailles nationales de Margaret Thatcher l'an passé ?

C'est un sujet qui a vraiment divisé le pays. Je ne suis pas comme Cathie Unsworth qui a fait la fête à l'annonce de sa mort. Après tout, c'était une vielle dame, frappée d'Alzheimer. Alors OK, elle n'est plus là mais les millions de gens qui ont voté pour elle, oui ! Les funérailles de Thatcher, c'est encore un coup de Blair, il l'avait planifé avant de quitter le pouvoir, il a ce complexe mussolinien des grands événements, comme pour les JO, c'est lui aussi.

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