Littérature noire
13 Octobre 2014
Lucky Luciano... A l'évocation de ce nom nous vient des images de costards rayés, de mitraillettes Thompson, de trafics d'alcool, de flics aisément corruptibles, d'une Amérique où le crime organisé est véritablemen en train de naître. Lucky Luciano, testament, est une biographie écrite par le journaliste Richard Hammer avec le producteur de cinéma, Martin Gosch. Un livre jusqu'alors épuisé en France, sinon à quelque chose comme 70 euros sur le net. Bien sûr, c'est Luciano qui se raconte, donc, il y a forcément une part de beau rôle qu'il s'accorde, il ne dit sans doute pas tout sur la prostitution et sur la drogue, deux domaines où il affirme n'avoir jamais voulu s'investir. Mais le bandit ne fait pas l'impasse sur ses méthodes expéditives, l'empire qu'il a créé, l'organisation phénoménale dont il avait pris la tête.
Parce que Salvatore Lucaina, l'état-civil de Lucky Charlie, n'a bâti son empire que sur l'opportunité et sur une solide paire de gonades, il est vrai. Lucaina n'est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. Emigré d'un tout petit village de Sicile, il arrive à New-York et ne parvient pas à s'intégrer normalement. Par contre il intègre bien une bande de voyous spécialistes des cambriolages. Une bande qui ne le quittera plus, ou presque : Meyer Lansky, Dutch Schultz, Franck Costello, Joe Adonis, Alberto Anastasia, et, celui qui allait devenir une sorte de Judas, Vito Genovese. On a là, la future crème du crime organisé. Et donc, à leur témérité de voyous, ce sont les circonstances qui vont venir ouvrir un boulevard à leur envie de s'enrichir illégalement. D'abord et surtout, grâce, à la prohibition : 24 ans pour faire entrer de l'alcool par le Canada, l'Europe et s'en mettre plein les poches, à un point que l'on a du mal à imaginer aujourd'hui. Lucky Luciano est au coeur de ce trafic sur la côte Est. Il va même profiter de la crise de 1929 pour jouer les usuriers et s'approprier nombre de commerces, d'entreprises qui vont, à leur tour, faire sa fortune. Au point que les chefs en place, Masseria et Manzarano, en guerre ouverte, tente de le séduire. Leurs exécutions, magistralement contées ici, propulsent Lucky Luciano à la tête de l'Unione Siciliana qui va régner jusque dans les années 60, s'adaptant au monde, investissant à Cuba, à Las Vegas... Son modèle perdurant, en partie, jusqu'à aujourd'hui. Et jamais, il n'est prononcé ici, le mot de mafia.
Au-delà du crime, c'est l'immense corruption du système qui saute aux yeux : " il y avait des gars qui faisaient régner ma loi dans la rue quand il le fallait, et puis il y a ceux qui faisaient passer ma loi dans les textes, le plus légalement et le plus pacifiquement du monde. J'ai personnellement contribué à faire élire plus de quatre-vingts gus sur une courte période et tous, conseillers municipaux, députés et même sénateurs votaient comme je leur disais. Ils étaient à moi. Je les avais choisis. je les avais élus. Ils m'appartenaient, corps et âmes. " Violent.
L'ultime partie du livre, sur l'exil de Luciano en Sicile (là-aussi c'est cocasse) révèle un homme qui retrouve ses racines avec une certaine émotion. Son unique histoire d'amour ne manque pas, elle non plus, de certains violons mais sans doute que le gangster, comme nombre d'entre eux, a voulu se donner une image de citoyen " normal " sur ses derniers jours. En tout cas, une réédition qui tombe à pic et que l'on ne saurait trop conseiller à tout amateur de polars, d'histoire, de politique.
Lucky Luciano, testament, Martin A. Gosch, Richard Hammer, édition La manufacture de livres, 505 pages, 22, 90 euros.