Littérature noire
12 Décembre 2014
C'est très intelligent, parfaitement mené, souvent drôle et, pour finir, original. C'est bon, n'en jetez plus ! Un fond de vérité du jeune auteur polonais Zygmunt Miloszewki s'impose comme la plus belle des surprises en cette année 2014. Alors, pour être honnête, il est vrai que les prénoms, les patronymes polonais, parfois on a du mal, et on revient sur quelques pages en arrière pour être sûr de comprendre de qui on parle. Mais cela ne dure pas bien longtemps. Car l'histoire d' Un fond de vérité est proprement géniale. Miloszewski s'empare de ce sujet brûlant, délicat, polémique (fantasmé ?) et bien actuel de l'antisémitisme des Polonais pour construire un polar aux accents thriller de premier ordre. Et pour déconstruire aussi tout ce nationalisme ringard et dangereux qui fleurit sur le dos des juifs, accusés de tous les maux... Une lecture parfaite pour l'amateur de romans noirs.
Teodore Szacki est procureur dans la magnifique ville de Sandomierz. Une sorte de ville musée, dans la province polonaise. A priori, notre héros n'est pas très sensible aux charmes, justement, de la province, il trouve de prime abord tout cela grossier, sans classe, plouc, pour ainsi dire. C'est que lui, vient de Varsovie. Et puis, à Sandomierz, bonjour la délinquance : un vol de portable, une bagarre d'ivrognes. Et basta. Sauf ce mercredi matin, quand Ela Budnik est retrouvée la gorge tranchée nette, quasiment jusqu'à l'épine dorsale. Ela Budnik, une femme bonne, attentive avec les enfants du coin. L'épouse remarquable d'un élu municipal lui aussi, sans tâche. Le procureur s'entoure, pour cette enquête de sa collègue Barbara, proche de la victime, et du commissaire Léon Wilczur. Deux personnages, hauts en couleurs et surtout très au fait de la vie locale. Rapidement, on retrouve une sorte de hachoir près de la victime, un objet typique de l'abattage rituel chez les juifs. Il n'en faut pas plus pour faire renaître un antisémitisme jamais disparu, y compris chez les médias. Surtout que le mari d'Ela Budnik est lui aussi assassiné, quelques heures plus tard, dans des circonstances encore plus sordides...
Le talent de l'auteur, c'est, déjà, d'avoir trouvé ce procureur Teodore Szacki. Au regard tellement méchant et cynique sur son environnement de province : " il avait pris rendez-vous avec lui dans le bar dit de l'hôtel de ville, un boui-boui malfamé, enterré au sous-sol d'un immeuble de la place du marché, puant les mégots qui s'incrustaient dans chaque élément du décor depuis des décennies, rempli de clients bizarres et de serveurs qui ne l'étaient pas moins... Le gâteau sentait le vieux canapé sur lequel tout le monde s'assoit mais que personne n'a envie de laver. " Mais ce Szacki est aussi très drôle quand il raconte ses rêves comme celui où il danse avec Hitler ! Enfin, principal trait de caractère, Téodore Szacki est un homme à femmes. Mais pas un gentleman, loin de là. Et, ça aussi, c'est croustillant et marrant.
Si l'auteur a bien compris l'importance d'un personnage principal bien incarné, il sait surtout bâtir un roman solide. Son histoire ne souffre ainsi d'aucune baisse de rythme, d'aucune faiblesse dramatique et aborde, sérieusement, frontalement, la question de l'antisémitisme polonais. Réflexions mais aussi revue historique, rencontre avec un jeune rabbin, tout cela est tranquillement détricoté. On imagine que le roman a dû connaître un certain écho en Pologne, peut-être même créer un peu de gêne. Parce que Zygmunt Miloszewski creuse vraiment les réflexes grégaires de ses concitoyens, les peurs ancestrales... et les drames des siècles passés.
Un fond de vérité, Zygmunt Miloszewski, ed. Mirobole, 470 pages, 22 euros.